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romans trahissent une influence libérale qui accuse le voisinage de 1830, et quelques-uns même, comme Hélène, une tendance radicale fort discrète, mais assez marquée. Enfin dans ceux de ses romans qui ont été écrits depuis 1848, on sent une certaine complaisance pour les nouvelles tendances littéraires. Sans accepter formellement la mode, elle lui a, cependant obéi. Elle a sacrifié, avec le bon goût et la discrétion qui lui sont propres, aux doctrines du réalisme, et il y a tel de ses romans des dernières années, Faustine par exemple, qui n’est autre chose qu’une histoire comme on les aime aujourd’hui, une histoire réaliste, seulement écrite avec finesse, correction et sobriété.

Mais ce ne sont là que des détails qui n’altèrent ni ne modifient beaucoup l’essence de son talent et de sa nature. En dépit des influences qu’elle a subies, elle n’est ni romantique, ni philosophe, ni prêcheuse politique, mais conteuse. En dépit des excursions lointaines de sa curiosité et des milieux divers qu’elle a traversés, elle est restée Provençale. Conteuse et Provençale, voilà les deux caractères très marqués de son esprit et de son talent. Elle est Provençale des pieds à la tête, Provençale d’esprit, d’habitudes, de langage et surtout d’éducation. Son éducation vaut la peine qu’on s’y arrête un instant, car elle a laissé sur ses écrits une marque très profonde, et l’on peut dire même qu’elle lui doit tout ce qu’elle est devenue ; elle lui doit et son tour d’esprit, et son goût des choses de l’intelligence, et la substance même des récits qu’elle a composés.

Elle a eu le goût des choses de l’intelligence, parce qu’on l’avait autour d’elle et parce que sa jeune imagination se trouva de bonne heure, doucement stimulée par la conversation d’un père homme d’esprit et médecin distingué, le docteur Arnaud. Sans songer à devenir savante, la jeune fille se trouvait ainsi comme imbibée et pénétrée de littérature. « Je l’entendais parler de curiosités historiques, pour lesquelles il avait beaucoup de goût, de beaux-arts et surtout de peinture, et je me mis à lire les mêmes livres qu’il lisait, » nous écrivait-elle dans une lettre récente en réponse à quelques questions que nous lui avions adressées. Chez elle, les deux grandes influences souvent contraires et hostiles qui se disputent et déchirent l’esprit de l’enfant, — car l’esprit de l’enfant a ses révolutions et ses luttes quelquefois aussi douloureuses que celles de la jeunesse et de l’âge mûr, — l’instinct d’imitation et la curiosité, s’unirent sans querelle et grandirent sans trouble sous la protection de cette éducation paternelle, d’autant plus efficace qu’elle s’exerçait sans préméditation. Il n’y a pas eu chez Mme Reybaud de vocation littéraire à proprement parler, elle n’a connu aucune de ces circonstances déterminantes qui forcent l’esprit et lui imposent leurs dures conditions. Nulle voix ne