Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/891

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui a crié : Tu seras écrivain. Non, elle s’est laissé glisser lentement et doucement sur la pente facile où son éducation l’avait placée. Rarement on est entré dans la littérature avec moins de préoccupations personnelles et de parti-pris ; elle a écrit des romans à peu près comme on fait la connaissance d’un voisin que le hasard a placé à votre porte ; on le voit passer si souvent qu’on finit par le saluer, et après un certain nombre de saluts on arrive à lui parler le plus naturellement du monde. Sa vie présente un tout petit détail qui est bien l’image fidèle de sa destinée littéraire : Mme Reybaud est très versée dans la connaissance de la langue et de la littérature espagnoles ; mais ce n’est pas, comme on pourrait le croire, à un goût particulier pour l’Espagne et à un choix prémédité qu’elle doit cette érudition. De même qu’elle avait lu les livres dont parlait son père parce qu’elle l’en entendait parler, elle apprit l’espagnol parce qu’une de ses amies devait se marier en Espagne. Cet incident, qui présente, disons-nous, une image fidèle de sa destinée littéraire, fut en même temps, tout léger qu’il soit, la cause déterminante de sa vocation. Comme pour apprendre une langue il faut de toute nécessité faire des traductions, l’étude de l’espagnol fut l’occasion qui lui mit à la main cette plume élégante et facile qu’elle n’a plus quittée depuis lors. Sa vocation littéraire est donc des plus simples ; il serait impossible d’y rattacher la moindre anecdote dramatique. Cette vocation est un fruit si naturel de son éducation qu’il est permis de supposer que, si l’auteur eût été élevé par un autre père, ses vives facultés n’auraient senti aucun désir de s’exercer sur des sujets littéraires ; elles se seraient épanouies et auraient donné tous leurs parfums dans le milieu ordinaire de la vie et n’auraient été appréciées que de ceux qui l’auraient approchée et connue. Nous devons de la reconnaissance au docteur Arnaud, puisque, sans l’influence insensible qu’il exerça sur l’esprit de sa fille, nous aurions peut-être été privés de ces récits charmans qui ont occupé nos heures de loisir, et dont quelques-uns comptent au nombre de nos plaisirs intellectuels.

La seconde influence, celle qui a non plus déterminé sa vocation, mais qui, cette vocation une fois arrêtée, a fourni à son esprit les matériaux et la substance de ses écrits, c’est le pays même dans lequel elle est née. La plupart des histoires qu’elle a racontées sont des histoires provençales conservées par la tradition, des aventures restées célèbres dans telle localité, ou des anecdotes contemporaines de l’enfance de l’auteur recueillies dans les conversations du foyer domestique ou du voisinage. Même les plus récentes, comme l’histoire de Faustine, qui se rapporte par sa date à la fin du règne de Louis-Philippe, sont des anecdotes rapportées par l’auteur au retour