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estime la société nouvelle à laquelle elle appartenait. Mme Reybaud appartient pour ainsi dire à deux régimes de société, et elle a su faire bon ménage avec tous les deux ; par son éducation et sa tournure d’imagination, elle appartient à l’ancien régime ; par sa naissance, ses amitiés et ses opinions, elle appartient à la société issue de la révolution. Son père, le docteur Arnaud, était un libéral très déterminé. Parmi ses amis d’enfance et de jeunesse, nous rencontrons les noms destinés à devenir illustres de deux jeunes gens, inconnus alors, mais déjà enflammés de ces passions libérales qui devaient s’exprimer quelques années plus tard par des écrits historiques qui ont passé eux-mêmes à l’état d’histoire, tant ils sont intimement liés aux souvenirs des luttes de la restauration et de la révolution de 1830. Ces deux jeunes gens, originaires comme elle de la ville d’Aix en Provence, étaient MM. Thiers et Mignet. Depuis cette époque, les vicissitudes de la vie ont séparé ces trois compagnons de jeunesse et les ont jetés sur des rivages différens, mais leur amitié réciproque n’a point souffert de cet éloignement. C’est plaisir que d’entendre Mme Reybaud revenir sur cette période déjà lointaine de sa vie, tracer les portraits de ses jeunes amis, décrire la pétulante mobilité d’esprit, de gestes, de visage de M. Thiers, la gravité attentive et studieuse de M. Mignet, raconter quelque anecdote sur l’amitié naissante qui devait unir de liens si indissolubles l’Oreste et le Pylade du parti libéral. Elle les voit et les peint tels qu’ils étaient alors ; ni les années, ni les changemens politiques n’ont diminué sa vive sympathie pour eux. On me dit que de leur côté ils ont conservé pour elle les mêmes sentimens qu’autrefois, et qu’ils ont su payer son affection de retour. Nous ne citerons qu’un fait que Mme Reybaud ignore probablement, mais qui se rapporte trop directement à notre sujet pour que nous le passions sous silence. C’est à l’intervention et à l’influence de M. Thiers que Mme Reybaud a dû ses premiers rapports avec ce recueil.

Pendant son ministère de 1835, M. Thiers sut trouver assez de loisir, au milieu des soucis politiques qui l’assiégeaient, pour penser à son amie de jeunesse, qui avait débuté dans les lettres depuis quelques années déjà, mais dont les premiers essais n’avaient pas attiré encore l’attention dont elle était digne. Lui, ministre tout-puissant, ne craignit pas un jour de se faire solliciteur pour elle : je dis justement solliciteur, car il n’existait alors aucun lien de sympathie politique entre la direction de ce recueil et M. Thiers. On courait le risque d’un refus, ce qui n’est jamais agréable, même pour ceux qui ne sont pas ministres ; ce fut une admission qu’on obtint. Une nouvelle présentée par un ami officieux fut insérée dans la Revue de Paris, alors, placée sous la même direction que la Revue des Deux