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Mondes. Cette nouvelle, très originale de fond, très modeste de forme, intitulée Lazarille, fut, on peut le dire, le véritable début de Mme Reybaud dans la carrière littéraire. À cette nouvelle en succédèrent plusieurs autres, toujours heureuses, et révélant un talent de plus en plus sûr de lui-même. Aussi le succès ne se fit-il pas attendre, et Mme Reybaud fut-elle bientôt conviée à quitter ce théâtre de la Revue de Paris pour celui de la Revue des Deux Mondes, où elle débuta par le récit intitulé la Petite Reine. J’ai relevé avec plaisir ce petit incident, qui fait honneur à M. Thiers, et j’ai voulu le porter à la connaissance de Mme Reybaud, parce qu’il lui prouvera que cette sympathie que je lui ai si souvent entendu exprimer était méritée, et que, contrairement à ce qui arrive trop souvent, hélas ! dans ce monde, où nous aimons par ignorance des êtres que nous devrions haïr, son amitié avait raison et ne se trompait pas d’adresse.

La carrière de Mme Reybaud a donc été aussi facile que sa vocation avait été naturelle et simple. Son talent s’est montré pareil à une source qui coule entre deux rives égales, sur un lit de sable fin et uni, avec une lenteur silencieuse. Cette source favorisée n’a rencontré aucun de ces pittoresques accidens de terrain qui pouvaient troubler son heureuse expansion ; pas de ces cailloux qui roulent avec un bruit sec au fond de l’eau et rompent indiscrètement le silence qu’elle aimait à garder, pas de ces anfractuosités des rives qui arrêtent l’onde au passage et la font sangloter, pas de ces pentes dangereuses qui la précipitent en lui arrachant un de ces mugissemens pareils à un cri de désespoir, ou un de ces légers cris pareils à un cri de surprise et de folle terreur. Rien n’indique sa présence, et le promeneur passerait sans s’apercevoir qu’il est près d’un vif et frais courant de l’eau la plus limpide, n’étaient un miroitement lumineux et les images reflétées d’objets qu’on ne voit pas. Mme Reybaud a continué sa vie littéraire comme elle l’avait commencée, allant toujours d’un même pas et d’une même allure ; il n’y a guère de phases, de périodes, de changemens de manières dans ce talent aimable. Ses romans ne sont pas le résultat des révolutions de sa pensée : aussi ont-ils tous un certain air de famille et ne se distinguent-ils que par des nuances légères. Ils ne tranchent pas l’un sur l’autre, et il n’en est aucun qui pourrait réclamer sur ses frères une supériorité orgueilleuse, qui oserait se donner le droit de les traiter avec trop de mépris. Dans cette nombreuse et presque patriarcale famille de romans, qui ressemble à une de ces vieilles maisons du temps passé, où le père et la mère présidaient chaque jour à une table de vingt enfans, il n’y a pas de ces disparates choquantes et de ces inégalités qui paraissent des injustices. Ils ont tous même bonne apparence,