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ces fièvres paludéennes dont les sels de quinine n’enraient pas toujours à temps les accès. On comprend sans peine qu’à ce moment de la soirée où règne le mauvais air dans les maremmes, où sous le ciel pur de l’Italie le rayonnement terrestre abaisse si vite la température atmosphérique, les vapeurs aqueuses subitement condensées puissent précipiter vers le sol les corps légers enlevés pendant le jour par les courans ascensionnels de l’air échauffé ; on comprend que les personnes exposées à recevoir ces corpuscules y rencontrent certains germes de maladie, de même que plusieurs fermens et les spores des champignons délétères déterminent des affections particulières sur les espèces végétales et animales ; on s’explique enfin que l’homme soit plus vite affecté en raison même du refroidissement qui l’affaiblit, et dont il se défend moins bien en général que la plupart des autres animaux.

La seconde hypothèse, qui attribue aux gaz sulfurés la cause du mal, ne saurait, nous l’avons dit, aussi bien se soutenir : elle trouve en effet dans la même contrée une éclatante contradiction. C’est encore au milieu de ces maremmes, dans quelques vallées et sur les flancs des collines, que des émanations volcaniques lancées dans l’atmosphère par d’innombrables suffioni ou fumarolles répandent sur une étendue de plusieurs lieues un mélange de gaz, d’abondantes vapeurs aqueuses et d’argile délayée, — mélange à la température de 100 degrés et dans lequel l’hydrogène sulfuré domine au point d’attaquer en quelques instans l’argenterie, de noircir même jusque dans la poche du voyageur les cartes de visites glacées au blanc d’argent. Il y a là des quantités mille fois plus grandes peut-être de ce gaz dans un égal volume d’air respirable que dans les fiévreuses localités voisines[1], où l’analyse chimique en découvre à peine les traces ; il y en a cent fois plus sans doute que dans certaines prairies insalubres de la verte Irlande, et cependant, — j’ai pu le constater moi-même durant un séjour de deux mois en automne dans les vastes usines établies[2] par M. le comte de Larderel, un de nos compatriotes, — les contre-maîtres, les ouvriers

  1. Aux environs de Pommerance, comme dans les autres contrées italiennes de mal’ aria des campagnes de Sienne, de Rome et de Naples.
  2. Au nombre de dix, dans les lieux appelés Monte-Cerboli, Larderello, San-Fredorigo, Castelnuovo, Sasso, Monterotondo, Lustignano, Serrazzano, Lago, San-Edvardo. L’ingénieux fondateur de cette industrie toute locale, qui produit annuellement plut d’un million de kilogrammes d’acide borique cristallisé, supprima tout emploi de combustible en empruntant la chaleur nécessaire pour l’évaporation des eaux acides aux vapeurs, perdues jusque-là, des suffioni. Il parvint ainsi à réaliser une brillante fortune. Décoré de l’ordre de la Légion d’honneur en France, il fut anobli en Toscane pour les services qu’il avait rendus au pays en y créant une source de richesses qui semble inépuisable.