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d’eau plus ou moins chargé d’argile en certaines saisons. La quantité de limon dans les eaux troubles, le nombre et la durée des crues annuelles forment les bases du calcul nécessaire pour évaluer la dépense et les effets du colmatage[1]. Le terrain à colmater est préalablement entouré d’une digue en terre dépassant de un ou deux décimètres la hauteur de la couche qui doit exhausser le terrain. Si le sol était en pente, on devrait établir de nombreuses digues transversales, afin de retenir le dépôt sur toutes les parties du champ. Le colmatage produira d’autant plus vite les effets qu’on en attend que l’eau s’élèvera à une plus grande hauteur. Aussi élève-t-on les digues ou levées jusqu’à 1 et même 2 mètres.

Dans le midi de la France, on sépare le terrain que l’on se propose de colmater en espaces graduellement rétrécis, à l’aide de petites chaussées hautes de 70 ou 75 centimètres, et dont l’élévation diminue de 8 ou 10 centimètres à mesure que l’on s’éloigne davantage du point d’entrée de l’eau, afin que celle-ci remplisse successivement les intervalles ou bassins formés ainsi, et se déverse uniformément en nappes débordant l’une après l’autre toutes les chaussées[2]. De quelque façon que l’on s’y prenne pour submerger le terrain à combler, soit par l’eau stagnante, soit par un courant continuel très ralenti, on doit se préoccuper des moyens de faire plusieurs fois, pendant la durée d’un colmatage complet, changer les points d’arrivée et de sortie des eaux, car sur les premiers ce sont toujours les parties les plus chargées de sable qui se déposent, et les plus ténues se dirigent vers la sortie ; les changemens de direction compensent ces effets, et régularisent l’épaisseur ainsi que les propriétés de la couche de limon.

On voit qu’en définitive l’industrie bien entendue du colmatage consiste à profiter de toutes les circonstances locales pour faire transporter économiquement par les eaux troubles le limon qui doit améliorer les terres, en s’interposant dans les sables ou recouvrant les graviers d’une couche végétale fertile, qui souvent peut assainir la contrée en la débarrassant des bas-fonds où le séjour périodique des eaux stagnantes et les alternances de la dessiccation du sol occasionnaient des maladies endémiques.

  1. Il est d’ailleurs facile de s’assurer expérimentalement des quantités de limon que les eaux peuvent apporter sur les terres : il suffit de puiser quelques litres au milieu du courant, puis de laisser déposer dans un vase l’argile que le liquide renferme.
  2. La Durance, pendant la durée de ses eaux troubles, tient en suspension jusqu’à 21 millièmes de son volume de limon ; le Rhin en a donné près de 6 millièmes à Bonn, la Seine 14 dix-millièmes ; après plusieurs jours de pluie, en novembre, la Marne y apporte de fortes doses d’argiles ferrugineuses par suite du lavage des minerais de fer de la Champagne.