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uniquement pour le roi des tapisseries de haute lisse[1] en broderie. Le Primatice surveillait ces travaux d’art, dont un de ses élèves, Sébastien Serlo, était directeur. Ils ne se préoccupaient, dans leurs compositions pour étoffes, que de la correction du dessin et de l’indication des couleurs, laissant aux tapissiers leur méthode simple de moduler les tons. Ils se seraient récriés sur ces aberrations qui prétendent, en concurrence avec les papiers peints, imiter non-seulement la peinture à l’huile, mais encore le cadre en bois doré et jusqu’aux clous et aux cordes qui l’attachent à la muraille.

Henri II continua d’encourager cette industrie naissante, et créa une autre fabrique à Paris, dans l’hôpital de la Trinité. Toutefois ce ne fut que par l’initiative de Henri IV que les manufactures de tapisseries devinrent une industrie nationale. L’édit de Nantes ayant fait cesser les guerres qui désolaient la France, l’industrie prit un nouvel essor. Le roi, avant de signer l’ordonnance qui instituait les manufactures de tapisserie, décréta l’établissement d’une fabrique de drap d’or et d’argent. Il avait attiré d’Italie d’habiles ouvriers dont le chef, nommé Turato, devait montrer à des tisserands français l’art de filer l’or avec la soie à la mode de l’Orient. Ce Turato, établi à Paris, rue de la Tixeranderie, dans l’hôtel de La Maque, par lettres patentes signées à Saint-Germain, au mois d’août 1603, faisait, dit un contemporain, « des pièces excellentes en rehaussement de fils d’or et d’argent, draps et toiles d’or frisé de toutes les façons et avec une grande naïveté, tant des estoffes que des estoffures. » On ne saurait imaginer la magnificence de ces étoffes de drap d’or. Aujourd’hui le luxe de la toilette consiste bien plus dans le changement continuel et la quantité que dans la beauté des vêtemens. Marguerite de Valois, le jour de Pâques fleuries, en 1571, à Blois, apparut à Brantôme avec une robe de drap d’or frisé, cadeau du sultan ; elle avait quinze aunes et coûtait 9,000 francs. Ces draps d’or étaient des velours de soie ou de laine une dont les rayures, les arabesques, les fleurs et les rinceaux étaient lamés d’or et d’argent.

  1. On appelle lisses les ficelles qui servent au tapissier à ramener d’arrière en avant les fils placés parallèlement les uns aux autres dans un morne plan, et qui sont, à bien dire, la trame principale. Dans le métier de haute lisse, la chaîne est tendue verticalement comme les cordes d’une harpe ; dans celui de basse lisse au contraire, elle est tendue horizontalement, et le tapissier est penché sur elle ; il travaille d’ailleurs à l’envers comme au métier de hante lisse. Les tapisseries des Gobelins sont de haute lisse, tandis que celles de Beauvais sont de basse lisse. C’est la seule différence entre les deux fabrications, car le point du tissu est semblable. La traîne est en laine pour les ombres, en soie pour les lumières. Le métier de haute lisse se prête à toutes les exigences du modèle le plus grand ; il est donc essentiellement consacré à reproduire les tableaux d’histoire. En résumé, la manufacture des Gobelins représente la fabrication des tapisseries pour tentures du plus grand style. La manufacture de Beauvais représente la fabrication des tapisseries pour meubles : elle fut aussi fondée par Colbert en 1664.