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à la tapisserie, tandis qu’aujourd’hui c’est la tapisserie qui est devenue de la peinture à l’huile.

En voyant l’espèce de langueur où végètent maintenant les manufactures de l’état, naguère si florissantes, on s’inquiète de la direction donnée à la fabrication par des établissemens fondés pour servir de types, qui ont pour mission de conserver la tradition, d’améliorer les procédés, de faire les essais, les innovations et les perfectionnemens que le progrès des sciences amène ou devrait amener, études qui seraient impossibles avec les seules ressources d’un industriel. C’est parce qu’elles doivent maintenir la succession de la pratique et les secrets du métier que les manufactures de l’état ont une si grande importance. Or ces établissemens, à la suite de tentatives sans doute ingénieuses, mais où se reconnaît l’absence des règles qui fixent le goût, sont entrés dans une voie fausse, et il est nécessaire d’indiquer ici où le péril a pris sa source. Une des grandes erreurs de notre époque, c’est de croire que les œuvres d’un artiste, statue, livre ou tableau, sont faites pour tous, que la plus grande expansion de ces objets développe l’art et le répand, que, l’art n’étant qu’une pensée, un sentiment exprimé concrètement, la matière la meilleure dans ce cas pour le représenter sera la plus voyageuse, la plus diffusible et la moins coûteuse, qu’en conséquence l’objet d’art reproduit en quantité par la mécanique et mis ainsi au niveau de tous servira par là même le progrès du goût. Soutenir cette opinion, c’est oublier que ce qui fait le mérite d’un tableau, d’une statue, d’un vase ou de tout autre objet, c’est le sentiment individuel, c’est la nuance que ne donnera jamais la machine reproductive, et qu’elle efface au contraire de plus en plus ; elle a vulgarisé la chose, et c’est tout dire. Ainsi les réductions Colas, les moulages répandus dans le public peuvent être un moyen de moralisation, d’éducation, s’ils sont faits avec soin ; mais ce n’est jamais de la sorte qu’on élèvera dans un pays le niveau de l’art. En offrant une interprétation qui n’est pas la vraie, qui manque de cette inspiration que l’artiste seul peut donner, on égare les instincts, on perd le sentiment. L’art industriel n’a jamais été si appauvri que depuis l’invention des machines. Pour les étoffes en particulier, l’emploi du tissage mécanique s’étend chaque jour davantage et en détruit tout le charme. Croyez-vous donc que cette régularité si absolue de la trame, que vous regardez maintenant comme le principal mérite de la constitution d’un tissu, en soit la vraie beauté ? Et n’est-ce pas le contraire qui est le vrai ? Que direz-vous par exemple de cette mousseline des Indes, tissée à la manière des toiles d’araignée, à mailles inégales et vaporeuses, où l’on sent la légèreté d’une main conduite par l’amour des belles choses ? Ne voyez-vous pas qu’elle cherche à copier ces écharpes de brouillard qui semblent cacher au soleil levant les mystères des