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l’habile chimiste, composés, le premier des couleurs franches, les autres des mêmes couleurs rabattues avec plus ou moins de noir[1], ne nous paraissent bons qu’à faire ces imitations de la peinture à l’huile qui offrent tant de prise à la critique. Le but a été de donner aux fabricans d’étoffes et de tapis le moyen : 1o de définir et de nommer les couleurs d’après une méthode précise et expérimentale, 2o de se rendre compte de leur mélange et des effets de leur contraste. Malgré les principes si bien présentés par le savant chimiste sur le contraste simultané des couleurs, sur le contraste successif et la neutralisation des couleurs complémentaires, nous pensons qu’il s’est trompé dans sa méthode de rabattre les couleurs à l’aide du noir. La théorie a prévalu sur l’observation directe. Cette adjonction du noir dans les couleurs franches arrive fatalement à perdre le coloris, à détruire tout sentiment de la couleur dans la fabrication des étoffes. Le noir, c’est la nuit, c’est l’absence de toute couleur. À notre sens, le noir n’existe pas avec la lumière, et l’ombre ne peut être que bleue et transparente. Avec le noir, vous salissez, mais vous n’harmonisez pas ; vous anéantissez les couleurs, mais vous n’en créez pas. Euler a prouvé que la force, l’intensité, la hauteur d’une couleur dépend des vibrations de la lumière. Ainsi un rayon rouge faisant dix mille vibrations dans une seconde produira un rouge plus intense que le rayon rouge qui ne fait que cinq mille vibrations dans le même temps. C’est ce mouvement de la couleur sur elle-même qui est la base de toute harmonie, qui ôte la dureté, la monotonie, et permet de regarder sans confusion et sans fatigue l’assemblage de couleurs le plus compliqué. Dans les cercles chromatiques de M. Chevreul, on ne voit ni le rose, ni le bleu turquoise, ni le vert-de-gris, ni le lilas et la couleur de chair, ni une foule de couleurs franches que les fleurs nous montrent. C’est avec du noir qu’il compose ses gammes de couleurs, tandis que si nous avions à faire des cercles chromatiques, ce serait avec le blanc, c’est-à-dire avec la lumière intense, que nous composerions les nôtres. On le voit, la différence est grande. Avec du blanc et du rouge ou avec de l’orange, vous faites des roses de toute nuance ; avec du noir et du rouge ou du bleu et du rouge, cela est impossible. Nous savons très bien qu’en dehors de ce cercle chromatique, on fait aux Gobelins les tons les plus fins. Chaque teinte a sa gamme de vingt-quatre tons, se dégradant du plus intense au plus pâle, du rouge vif par-exemple au rose blanc. La dégradation en est même trop insensible ; c’est là son défaut. Les trente séries produites par les trois couleurs primitives, le jaune, le rouge et le bleu, donnent

  1. Cercles chromatiques de M. Chevreul, exécutés par M. Digeon.