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qu’il n’est plus question de portraits de souverains, et qu’il s’agit uniquement d’ornementation, de fleurs ou d’arabesques. Dans ce cas, c’est encore le relief, les ombres noires et vigoureuses, la peinture à l’huile en un mot qu’on prend pour type d’exécution. En effet, s’agit-il d’un simple tapis de plancher ou même de rideaux, la donnée, quoique bien différente, reste toujours dans la même voie. C’est un amalgame monstrueux de toutes les formes et de toutes les couleurs, c’est le désordre du travail à sa plus haute puissance. Il ne semble pas possible de faire, avec plus de talent d’exécution, rien de plus illogique, de plus laid que ce qui se fabrique aujourd’hui en tapis d’appartemens, de se donner plus de peine, de se créer plus de difficultés pour obtenir un plus détestable résultat. Le plus grand tapis à l’exposition universelle de 1855, placé dans la rotonde, représentait une forêt vierge ; un escalier de pierre montait en spirale au milieu de pins-parasols à fleurs de rhododendron, le tout garni de singes, de tigres et d’oiseaux de toute espèce. Si ce tapis, dont la couleur était encore plus détestable que la forme, avait eu au moins pour destination un panneau de galerie, on eût pu le justifier comme tableau ; mais il était composé et fabriqué pour être mis sous les pieds : il fallait écraser ce tigre rebondi, aplatir ce perroquet aux ailes déployées, marcher sur ces abîmes, sur ces cascades, sur cette mer agitée, sur les flèches aiguës de cette cathédrale gothique. Il est déplorable de songer que les Gobelins, la Savonnerie, Beauvais, Aubusson, toutes les fabriques d’étoffes, suivent également ces faux principes. Les produits de Beauvais sont cependant plus harmonieux que les autres ; mais encore les noirs, trop dominans, salissent-ils l’ensemble. Ignorant complètement la loi des vibrations de couleur, on cherche à éteindre les tons criards au moyen du rabat. C’est toujours, nous le répétons, ce système de la nuit, de la pluie ou de la poussière qui harmonise bon gré, mal gré, des nuances bien accouplées, mais dont la crudité produit la discorde. Bref on fait du vieux, du terni, du passé, de la couleur de loques, pour mettre un peu d’accord dans cette absence de toute hiérarchie mélodique.

Les vrais dessins d’étoffes, ceux qui satisfont à la fois l’œil et le bon sens, sont les dessins plats, les fleurs-arabesques, les entrelacs géométriques, dont l’Inde et la Perse nous offrent de si parfaits modèles. Dans ces contrées où l’art se confond sincèrement avec le but industriel, on n’a jamais eu l’idée, comme en Occident, de faire du trompe-l’œil. Les peintres de fleurs, d’insectes et de nature morte ont atteint, par la finesse du trait, le charme de la couleur et la vérité naïve de reproduction, un degré de perfection qui dépasse tout ce que nous pouvons faire en ce genre. Les étoffes orientales reproduisent