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vu dans les Cévennes du midi de la France des curés de village garder leurs troupeaux de moutons sur la montagne, et ces prêtres-pasteurs, au milieu de leurs travaux agrestes, avaient une sorte de dignité biblique. Par malheur, c’est cette dignité qui manque absolument aux popes laboureurs de l’Autriche orientale. Loin de vivre avec les paysans pour leur fournir un modèle, ils ne songent qu’à imiter leurs vices ; ils sont rusés, intéressés, cupides, sans foi ni loi dans leurs marchés. Aussi l’opinion du pays est-elle unanime sur leur compte. M. de Berg les a entendu apprécier en cent lieux différens par des personnes appartenant à toutes les classes de la société ; la conclusion était toujours la même : le plus grand voleur, en quelque lieu que ce soit, au nord ou au sud, à l’est ou à l’ouest du Banat, c’est le pope. « Commet-on quelque part un acte de brigandage, dit M. de Berg, il y a cent à parier que le pope a dirigé l’affaire, et après lui le juge de paix du canton. » Un jour, dans le village de Kriwina, sur les frontières de la Transylvanie, une bande de malfaiteurs fit irruption chez un paysan qui venait de vendre ses récoltes. Pour le contraindre à livrer son argent, on lui coupa les oreilles, on lui appliqua des chaînes brûlantes sur le corps… Quels étaient ces brigands ? Trois popes, deux maîtres d’école, un clerc de notaire et deux sacristains. C’était, à ce qu’il paraît, une bande organisée qui déjà plus d’une fois avait eu maille à partir avec la justice, mais qui, soit habileté des coupables, soit faiblesse des tribunaux, avait toujours échappé à la vindicte publique ; il avait été impossible de prouver leur participation au crime, et tous les complices étaient restés en fonctions, celui-ci disant la messe, celui-là enseignant aux enfans la grammaire et l’arithmétique. Enfin, le 5 janvier 1860, saisis flagrante delicto dans quelque expédition du même genre, ils furent traduits devant la cour criminelle et condamnés à la potence. On aime à croire cependant, malgré les récits de M. le baron de Berg, que ce sont là des exceptions, même dans les parties les plus sauvages du Banat. C’est bien assez de cette crasse ignorance qu’il est impossible de révoquer en doute.

Comment les évêques de la religion orthodoxe ne songent-ils pas à réformer tant d’abus ? Sans parler des crimes, dont la répression appartient aux tribunaux, pourquoi les dignitaires de l’église ne veillent-ils pas d’un œil plus attentif sur la discipline ecclésiastique et les mœurs du clergé ? C’est une question qui se présente tout naturellement à l’esprit. M. de Berg, dans son impartialité loyale, répond que les évêques ont les mains liées. S’ils veulent sévir contre un pope prévaricateur, le pope les menace de passer avec toute sa paroisse à l’église des grecs-unis ; or, comme ces conversions sont fort du goût de l’Autriche et encouragées de mille manières, l’évêque,