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aussi prudent qu’orthodoxe, se garde bien de fournir un prétexte à l’hérésie. Telles sont les hontes de l’église grecque dans le Banat, et c’est ainsi que se perpétue la servitude morale des peuples en ces malheureuses contrées.

Il y a cependant parmi tant d’influences funestes des peuples admirablement doués, de nobles et poétiques races d’hommes. Toutes les observations que nous résumons ici rapidement, M. le baron de Berg les a recueillies avec une attention patiente ; elles sont le résultat de sérieuses études, de longues et pénibles excursions dans les parties les moins accessibles du Banat et de la Voyvodie. le scrupuleux voyageur a visité tour à tour ces populations si différentes les unes des autres : il a examiné de près, dans les villages encore plus que dans les villes, les Roumains, les Serbes et les Magyars ; il s’est même arrêté dans un bourg de Tsigeunes ou bohémiens. Partout enfin il a voulu connaître l’état moral des classes inférieures dans ces pays si mal administrés, et partout il a été frappé des ressources qu’un gouvernement mieux servi pourrait trouver dans le sol et dans les hommes. Les Valaques surtout lui ont inspiré de vives sympathies. Engourdis, énervés par la condition décourageante qui leur est faite, on devine ce dont ils seraient capables, si une société plus juste leur faisait comprendre que le travail est un trésor, non pas seulement le trésor dont parle La Fontaine, mais un trésor de noblesse et de dignité virile. Ce sont des hommes de noble sang que ces Roumains du Banat, et le régime abrutissant qu’ils subissent n’a pas encore entièrement altéré chez eux les traits de leur origine. Les vices que leur reproche M. de Berg, et il y a a de très graves assurément, sont l’œuvre de la servitude. Exposés à la peine du bâton, traités en bêtes de somme, comment ne seraient-ils pas rusés et cruels ? La ruse n’est pas toujours l’arme du lâche, elle est souvent la seule ressource de l’esclave, et si vous voulez que le plébéien n’ait pas des accès de férocité, n’irritez pas dans le sang de ses veines les furies de la vengeance. Ce qu’il y a de remarquable, c’est qu’au sein de la plus grande misère, malgré tant de causes d’avilissement, ils ne mendient jamais ; « ils sont trop fiers pour cela, » dit M. de Berg. Au reste, chez les Valaques du Banat, les femmes sont bien supérieures aux hommes, et c’est par elles que se fera la régénération de ce peuple le jour où l’Autriche voudra sérieusement remplir dans l’Europe orientale le rôle si grand et si utile que lui imposera sans doute un prochain avenir. Ce n’est pas que les jeunes filles valaques reçoivent une meilleure éducation que leurs frères ; chez les Roumains comme chez les autres populations du Banat, la complète insouciance des gouvernails pour les intérêts intellectuels et religieux