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divisée dans ses tendances. On reconnaît facilement ces hommes, je parle des plus grands, de ceux qui ont été l’honneur d’un temps et de ceux-là uniquement : ils ont eu l’amour et le respect de la parole, et ils ont cru en elle jusque dans ses désastres ; ils ont été la brillante représentation de l’alliance de l’esprit littéraire et de l’esprit politique, de cette vie de discussion qui a été pour eux comme pour leurs contemporains une véritable fascination ; ils ont gardé jusque dans leurs divisions je ne sais quel air de famille, je ne sais aussi quel geste de contestation permanente et de domination spirituelle. Grande génération qui, par sa puissance et par ses faiblesses aussi bien que par la variété des physionomies, a offert le spectacle le plus vivant et le plus instructif de toutes les manifestations de l’esprit appliqué au maniement de tous les intérêts du monde ! Je me suis demandé quelquefois ce que représentait réellement M. le comte de Montalembert dans les rangs de cette génération où il était un des plus jeunes, dans cette profusion d’éloquence qui a jeté un si vif éclat sur la France, et je rouvrais l’histoire, une histoire devenue presque légendaire, quoiqu’elle ne date point encore de bien loin.

Il y a trente ans maintenant, au lendemain de la révolution de juillet, au milieu de cette effervescence d’un peuple encore chaud du combat et tout enivré de l’esprit d’insurrection, trois jeunes hommes, dont deux étaient promis à la célébrité et dont l’un avait à peine vingt ans, se trouvaient tout-à coup les héros d’un épisode singulier. Sous l’inspiration d’un prêtre éloquent dont ils n’avaient sans doute ni le génie ni l’accent d’apôtre, mais qu’ils ne devaient pas suivre aussi dans l’excès de ses emportemens, ces jeunes hommes se faisaient les serviteurs ardens et dévoués d’une œuvre qui n’avait rien de vulgaire. En présence d’une révolution victorieuse qui abattait les croix et profanait les églises, ils relevaient le drapeau de la religion offensée et violée ; en présence de la réaction d’impopularité qui soufflait contre le clergé suspect de complaisance et de regret pour la monarchie déchue, ils essayaient d’affranchir l’église de toute solidarité avec la politique, avec tous les pouvoirs humains ; cette liberté enfin dont tout le monde parlait, que tout le monde croyait avoir conquise, ils la revendiquaient entière, absolue pour leur foi, en s’efforçant de communiquer au catholicisme un esprit nouveau de sympathie pour toutes les causes populaires et nationales.

C’était un rajeunissement qu’ils tentaient par la liberté, par une sorte de rupture avec les traditions politiques du catholicisme, en se ralliant à la charte sortie des pavés de juillet, mais aussi en prétendant dégager de cette charte même toutes les conséquences