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et sénatoriale, dans cet accent de néophyte retentissant devant des législateurs guéris de tous les entraînemens, dans cette ardeur des fils des croisés s’adressant à des fils de Voltaire, à des libéraux de 1789. M. de Montalembert avait un rôle à part au Luxembourg par sa jeunesse comme par la nature de ses opinions.

Ce n’était point un légitimiste malgré ses traditions aristocratiques. Il n’avait que des sympathies pour les peuples, pour la révolution de juillet, pour la Belgique affranchie, pour la Pologne insurgée et vaincue, pour l’Allemagne « vexée, garrottée dans sa liberté par des princes parjures, » pour l’Italie elle-même devenue « un enfer politique et intellectuel. » Il reconnaissait entièrement le principe de la souveraineté nationale, et comparait un jour la légitimité monarchique telle que l’absolutisme l’avait faite au principe turc. Ce n’était point non plus un conservateur de l’ordre nouveau. Il combattait d’une parole ardente les restrictions de liberté de la monarchie de 1830 et surtout sa politique extérieure. Avant de porter le dédain de cette politique à la chambre des pairs, il écrivait cette introduction des Pèlerins polonais de Mickiewicz qu’il supprime aujourd’hui dans ses œuvres et qui n’existe pas moins, où il parle de la France avilie, « des tristes êtres qui la gouvernent,… des lâches qui ont tenté de déshonorer notre révolution pour la mieux confisquer à leur profit,… de l’ignominie qui s’accroît chaque jour… » M. de Montalembert cependant n’était point, d’un autre côté, de ce qu’on appelait alors le parti du mouvement, l’opposition. Nul parti ne lui semblait plus imbu de tous les préjugés, de toutes les passions, de toutes les jalousies révolutionnaires. C’était à ses yeux un faux libéralisme qu’il accablait de sarcasmes et qu’il représentait comme une étape vers le radicalisme purement anarchique et despotique.

Placé entre tous les camps, M. de Montalembert n’appartenait réellement à aucun d’eux. C’était un jeune tribun catholique, seul d’abord, puis cherchant bientôt le retentissement et l’appui au dehors, s’emparant de la direction du clergé et de l’épiscopat lui-même en paraissant lui obéir, organisant des comités, promulguant des manifestes, formant et disciplinant un parti pour le conduire à la conquête de toutes les libertés de l’église : liberté de l’enseignement, liberté de la charité, liberté des rapports avec Rome, liberté d’association et des ordres monastiques. Il revendiquait en un mot la liberté du bien, puisque la liberté du mal existait, pour me servir d’une de ses expressions. Ce fut une campagne habilement conduite, et c’est dans cette campagne, dont l’épisode le plus saillant est la discussion d’une loi sur la liberté de l’enseignement en 1844, que M. de Montalembert apparaît réellement dans son rôle