Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/997

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étrange d’un homme doué d’une éloquence émouvante, d’un tempérament agitateur, et dénué d’action sur ses contemporains, leur parlant de liberté, et les laissant presque aussi inquiets que surpris en entendant ce mot toujours plein de fascination.

Et puis, lorsque dans son livre des Intérêts catholiques et dans tant d’autres pages frémissantes, M. de Montalembert, se tournant vers les sectateurs de l’absolutisme, trace son idéal politique fondé sur l’énergique vertu de la liberté, sur la valeur et les droits de l’homme indépendant, sur la dignité humaine sauvegardée par les institutions, qu’ajoute-t-il aussitôt ? « Telle est ma foi politique, dit-il, et « hors qu’un commandement du pape exprès ne vienne, » j’y compte persévérer… » Ainsi, — et je parle uniquement, bien entendu, des intérêts humains, politiques, — cet ensemble d’institutions libérales et de principes de la civilisation moderne dont la liberté est la garantie reste suspendu à la volonté d’un pouvoir qui puise ses règles de conduite dans une sphère de considérations d’un ordre entièrement distinct, qui ne consulte nécessairement que les droits et les intérêts de l’église. Et si « le commandement du pape » vient, si ce sont les théories les plus absolues dirigées contre l’esprit de la société moderne, contre les institutions libérales, qui sont approuvées à Rome, qu’arrive-t-il de la foi politique de M. de Montalembert ? Je ne sais si je me trompe, ces simples paroles jettent un jour singulier sur ces scissions qui ont éclaté depuis quelques années au sein du monde religieux, et contre lesquelles M. de Montalembert se révolte encore aujourd’hui sans songer qu’elles étaient en germe dans ce parti catholique dont il était l’organisateur, et qui a échappé à sa direction. L’ancien chef du parti catholique peut déplorer ces scissions avec amertume ; il les signalait d’un accent passionné, il y a dix ans déjà, dans une assemblée de la république. « J’ai vu, disait-il, j’ai vu se dissoudre l’armée que j’avais, j’ose le dire, formée pendant vingt années de luttes. J’ai vu se retourner contre moi les hommes que j’avais guidés et précédés dans la lutte pendant vingt années. Je les ai vus verser, comme ils le disent dans leurs journaux, des larmes sur ce qu’ils appellent mon suicide. J’accepte cette épreuve comme un dernier hommage et un dernier service à la cause de la liberté de l’église. J’ai donné à cette cause ma vie, mon courage, vingt ans de persévérance et de dévouement. Je lui offre comme un dernier hommage l’ingratitude, l’impopularité et l’injustice que cette loi m’a fait récolter dans mon propre parti. » Il s’agissait de la loi sur l’enseignement. Depuis cette époque, la scission n’a fait que s’aggraver et se préciser en devenant la lutte entre les absolutistes et les libéraux du catholicisme. Elle éclate dans les pages mêmes que M. de Montalembert a écrites récemment encore