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Fallait-il s’arrêter devant cette considération et supprimer quelques vérités utiles par ménagement pour des amours-propres individuels ou pour des susceptibilités de partis qui peuvent se rattacher à des traditions respectables ? Les personnes consultées à cette occasion ont répondu par la négative, et voilà pourquoi l’on va exposer, sans amertume comme sans réticence, la série des faits économiques, en montrant la relation qui les unit avec la politique proprement dite, et l’influence qu’ils ont eue sur les destinées de notre pays.

I. — révolution.

Deux grands génies rayonnaient tour à tour sur l’assemblée qui immortalisa la date de 1789 : Rousseau pour la philosophie politique, et en matière d’économie industrielle Turgot. Ce ministre ami du peuple, comme l’appelait Louis XVI, était mort en 1781 : il n’avait laissé aucun écrit dogmatique ; mais la tradition de ses idées était vivante, et l’un des constituans les plus illustres, Condorcet, venait d’exposer sa vie et ses doctrines d’après des souvenirs personnels et sur le ton de l’admiration respectueuse. On y lisait (je copie en abrégeant) que « les règlemens combinés sous le prétexte d’encourager l’industrie nationale ne font qu’en déranger le cours naturel, que tout privilège pour acheter, pour vendre, pour manufacturer, loin d’animer l’industrie, la change en esprit d’intrigue dans les privilégiés, et l’étouffe dans les autres, en un mot que toutes ces précautions de la timidité et de l’ignorance, toutes ces lois nées d’un esprit de machiavélisme qui s’est introduit dans la législation du commerce comme dans les entreprises de la politique, produisent des gênes, des vexations, des dépenses inutiles, pour aboutir à des résultats opposés à ceux qui ont été annoncés. ». Les nouveaux législateurs partagèrent en général cette conviction, et ils étaient disposés à la faire prévaloir ; s’ils ne la poussèrent pas toujours jusqu’au radicalisme, c’est que leur ferveur pour les réformes fut plus d’une fois altérée, sans qu’ils s’en doutassent, par la subtile influence des intérêts individuels. Cette influence se fit particulièrement sentir en matière de douanes.

Les principes qui devaient présider à l’établissement des tarifs avaient d’abord été résumés ainsi : exemption totale à l’entrée des alimens ordinaires et des matières brutes à l’usage des manufactures, — droits modérés sur les matières utiles et toujours croissans à mesure que l’utilité des objets s’affaiblit et qu’on arrive au luxe, — franchise presque générale à la sortie, avec la réserve d’établir, selon l’opportunité, des taxes fiscales pour exploiter les