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besoins de l’étranger. Toutefois, sous la pression d’un comité très actif qui s’intitula députation des manufactures, il fut décidé qu’on n’affronterait pas les périls de la concurrence absolue, et qu’on maintiendrait en faveur des fabriques nationales certains droits protecteurs pouvant aller jusqu’à la prohibition. Les bons instincts de l’assemblée firent heureusement contre-poids aux efforts de l’intérêt particulier, et le tarif de 1791 resta en définitive beaucoup plus libéral que le programme d’où il découlait. À l’importation, il y avait affranchissement complet pour les grains de toute sorte, les bois, le bétail, les peaux, les filasses, la laine et le coton brut, la fonte de fer et le cuivre non ouvré. Les denrées coloniales, les vins et les liqueurs furent rangés dans la catégorie des objets de luxe. On ne reconnut pas sans doute le besoin de protéger notre métallurgie, très supérieure alors à celle des Anglais. Les fers en barres ne furent taxés qu’à raison de 2 francs les 100 kilogrammes, les aciers à 3 francs, les machines et outils à 36 francs. Quant aux tissus, les prix semblent avoir été évalués de manière à offrir une protection du quart de la valeur vénale. Les prohibitions prononcées furent en si petit nombre et de si faible importance qu’elles ne méritent pas d’être signalées. Les taxes et les entraves à la sortie trahissent la crainte de fournir aux étrangers des moyens de concurrence.

Quant au régime de l’industrie à l’intérieur, l’assemblée constituante comprenait largement le principe de liberté, et elle a fait peu de sacrifices aux préjugés. Je ne sais si l’on pourrait trouver dans l’histoire quelque autre exemple d’un changement aussi soudain, aussi radical dans la vie d’un peuple. Les provinces de l’ancienne France étaient isolées commercialement et séparées les unes des autres autant que de l’étranger. Une fiscalité complexe et oppressive pesait sur toutes les transactions. Chaque métier avait ses cadres qui ne s’élargissaient pas, ses règlemens qui ne fléchissaient jamais. Nul ne conservait le complet usage de son activité, de son intelligence. En moins de six mois (d’octobre 1790 à mars 1791) et en vertu de cinq ou six lois, chacun rentre en possession de soi-même. Les droits de traite à l’intérieur, les péages, les octrois sont abolis. Le remplacement des taxes et redevances de toute nature par la seule contribution foncière fait disparaître une foule d’impôts malfaisans. La suppression des privilèges industriels, des corporations d’artisans et de marchands est proclamée en des termes absolus qui font tomber toutes les entraves : à l’avenir, ni apprentissage forcé, ni maîtrise à acheter, ni obstacle dans le choix d’une profession, ni servitude réglementaire dans la pratique. Cette restitution de la liberté, remarquons-le bien, n’intéresse pas seulement les