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née par parcelles sur toutes les têtes par l’effet des dépréciations successives, et tel qui aurait reçu dans les derniers mois 100 francs en papier n’aurait perdu en définitive que 4 ou 5 sous au jour de la démonétisation.

Cependant la circulation monétaire, comme celle du sang dans le corps humain, ne saurait être troublée impunément. Bien que le patriotisme eût amnistié l’usage et même l’abus des assignats, il n’en restait pas moins dans la pratique de chaque jour des embarras et des souffrances sans nombre. Lorsque fut établi le directoire, un papier complètement discrédité était l’unique ressort de l’administration, l’unique instrument des échanges. En 1795, le papier ne conservant même plus la centième partie de sa valeur nominale, on décréta qu’une certaine fraction de l’impôt foncier serait perçue en nature. Pour chaque franc d’impôt, on devait fournir dix livres de blé. Voilà donc le gouvernement devenu marchand de grains, et ayant à placer chaque année environ 16 millions d’hectolitres. Quant aux douanes, non moins utiles, disait-on, pour empêcher l’introduction des émigrés que celle des marchandises proscrites, on exigeait des espèces : la petite protection douanière assurée par le tarif de 1790 aurait été en effet bien dérisoire, si on avait reçu pour le paiement des taxes les assignats au pair. L’emprunt forcé auquel on avait eu recours pouvait être soldé, au choix du débiteur, en argent, en papiers au cours de la Bourse, en grains, en métaux, en marchandises utiles à l’armée. De temps en temps, on annonçait des ventes de biens confisqués, payables en mandats territoriaux, et le contrecoup des enchères imprimait aux divers papiers de brusques oscillations. Un moment vint où, l’assignat ne comptant plus, l’argent manqua tout à fait. La rente 5 pour 100 tomba à moins de 7 francs en espèces. Entre particuliers, 25 pour 100 était le taux ordinaire de l’intérêt : les engagemens du mont-de-piété se faisaient sur le taux de 3 pour 100 par mois. Dans le commerce, l’escompte du bon papier à courte échéance se faisait aussi par mois, et variait de 1 1/2 à 3 pour 100 : même à ce prix, les petits boutiquiers ne pouvaient escompter que sur nantissement de marchandises, ce qui avait donné lieu à un genre de banque usuraire dont on trouve les annonces dans les Petites Affiches.

Malgré tout ce désordre, on aurait tort de croire que la période comprise entre 1793 et 1799 ait été stérile et perdue pour le progrès industriel. Cette erreur a été celle des hommes d’état de l’étranger, et elle a faussé leurs appréciations politiques à notre égard. Ils voyaient un pays où toutes les sources de la finance semblaient taries, où étaient désorganisées les spéculations avec lesquelles le capital se forme en temps ordinaire ; ils en concluaient que ce pays