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courait à sa ruine, et qu’on allait avoir raison d’un peuple mourant d’inanition. Ils se trompaient. On ne faisait peut-être pas d’affaires en France dans le sens commercial du mot, on ne gagnait pas d’argent ; mais on travaillait, on produisait, on inventait. Le patriotisme, sans qu’il s’en doutât et sans que l’Europe s’en aperçût, faisait des prodiges industriels.

Toutes les usines métallurgiques de l’ancienne France, toutes les poudreries, toutes les tanneries auraient été bien insuffisantes quand retentit le cri de guerre. Le comité de salut public fait appel aux dévouemens, et chacun se met à l’œuvre, depuis l’académicien illustre jusqu’à l’homme de peine. Les uns donnent des leçons publiques, dressent des plans, agencent des machines ; les autres forgent le fer ou tournent la roue. Nos raffineries de salpêtre produisaient à peine 500,000 kilogrammes par année : on simplifie les procédés et on en fournit 6 millions de kilogrammes en neuf mois. La monarchie tombée n’avait que six fonderies pour les canons de fer ou de bronze ; on en improvise trente qui livrent annuellement 20,000 pièces. Il n’existait qu’une manufacture d’armes blanches, on en crée vingt de plus. La fabrication des carabines, inconnue chez nous, y est naturalisée. Des fabriques de fusils sont installées dans plusieurs départemens, et celle de Paris donne à elle seule 140,000 fusils par année, c’est-à-dire plus que toutes les anciennes fabriques à la fois. On invente pour le service des armées la télégraphie et les aérostats. Les arts qui ont pour objet la fabrication des fers, des aciers, des cuirs, du goudron, sont renouvelés par les théories les plus savantes et les plus fécondes. Le jet lumineux du génie tombe sur la foule comme le rayon du soleil qui éclaire tout le monde. Les cours révolutionnaires où l’on enseignait les procédés expéditifs pour la fabrication de la poudre, en invitant chacun à s’y exercer, contribuaient à vulgariser les notions de chimie, et quand le patriote, les manches retroussées, s’en allait donner le coup de main dans l’atelier civique, ne faisait-il donc pas pour l’avenir son apprentissage industriel ?

L’enthousiasme de la liberté était le grand ressort, mais non pas le seul. On croyait naïvement à une période de prospérité commerciale après la guerre, et on s’y préparait en multipliant les institutions utiles. Les ministères personnels avaient été supprimés, et ils étaient remplacés par des commissions spéciales. Celle qui présidait à l’agriculture et à l’industrie comprenait une réunion incomparable d’hommes illustres : Berthollet, Gaspard Monge, Guyton-Morveau, Périer, Vandermonde, Pierre Molard, Tessier, Parmentier, d’autres encore, tous dévoués et désintéressés jusqu’à l’héroïsme. C’est à cette époque, ne l’oublions pas, que furent créés coup sur