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sés, et un plus grand nombre d’autres, n’ayant que leurs bras à offrir, s’empressent d’y contribuer par leur travail. »

Ainsi peut être expliqué ce phénomène sans pareil d’une époque où l’on produisait beaucoup, bien que le travail s’exécutât au rebours de toutes les lois économiques. C’était la force désordonnée du fiévreux : l’accès, en se prolongeant, aurait tué le malade. À mesure que le calme revint, les embarras se multiplièrent ; le gouvernement directorial en fut écrasé. Après le discrédit des divers papiers, il resta littéralement sans ressources pour les services les plus essentiels. Ses agens avaient à lutter contre des difficultés qui les jetaient bientôt dans le découragement, sinon dans une sorte d’exaspération. Les employés des ministères restèrent pendant dix mois sans toucher de traitement, Bernadotte, devenu roi de Suède, se plaisait à raconter qu’étant ministre de la guerre, et poussé à bout par les plaintes légitimes de ses compagnons d’armes, il était entré un jour le sabre à la main chez son collègue des finances pour lui demander de l’argent : il trouva celui-ci gémissant devant le bilan de ses caisses vides. Pour l’entretien des armées, il y eut nécessité absolue de recourir au système des fournitures générales, et cela fit surgir une caste d’agioteurs effrontés. Le commerce proprement dit n’était pas sans quelque activité : il la devait à un reste de liberté, précieux héritage de la grande assemblée constituante ; mais le trouble dans la circulation, le passage périlleux du papier-monnaie à la monnaie métallique, les fournitures d’armées, l’accaparement des biens confisqués, donnaient lieu à toute sorte d’opérations suspectes, où la rouerie avait beau jeu contre la faiblesse et l’ignorance. Ainsi, tandis qu’une classe d’hommes soudainement gorgés de richesses étalait ce luxe provocateur et cette démoralisation qui ont déshonoré l’époque, la détresse et l’irritation jalouse de la multitude ouvraient carrière aux factions politiques. Le directoire étant complètement discrédité, la conception qui se forma dans les esprits fut celle d’une dictature momentanée, non pas au profit de l’ancien régime, mais destinée au contraire à vivifier le régime issu de la révolution. Les fils de cinq ou six trames, quoique de couleurs bien différentes, se croisèrent à cet effet. On sait ce qui est arrivé.

II. — consulat.

Le 20 brumaire an VIII, au lendemain du jour où le général Bonaparte prit possession du pouvoir, il n’y avait dans les caisses du trésor public que 137,000 fr. en numéraire restant d’une somme de 300,000 fr. empruntés la veille. La première urgence était de raviver le nerf du gouvernement, d’improviser quelque moyen de re-