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bien qu’un habile administrateur[1] prévoyait déjà la ruine de plusieurs usines par suite des frais d’approvisionnemens. Les transports des minerais se faisaient à dos de mulets ou avec des attelages de bœufs, et ces moyens, très dispendieux pour les producteurs, devenaient un fléau pour les campagnes, en raison des dégâts commis par ces caravanes. Suivant les ingénieurs, on aurait pu ménager d’un tiers en moyenne le combustible employé. On négligeait aussi les indications de la science[2] dans la construction des fourneaux, dans l’emploi des souffleries. On ne voulait pas essayer l’étirage des fers au laminoir, et on s’en tenait à l’ancien martelage. Bref, on obtenait à des prix excessifs des produits de qualité misérable. Les mauvais fers étaient toujours assez bons pour être envoyés à l’ennemi sous forme de boulets. Quant aux fers marchands, on pouvait dicter la loi aux consommateurs, car bien que la protection accordée par le tarif de 1806 fût assez faible (4 francs par quintal métrique), il existait en faveur des maîtres de forges un monopole de fait. Tous ces peuples en guerre se faisaient scrupule de se vendre du fer les uns aux autres, et lorsqu’en 1810 le gouvernement impérial distribua des licences pour l’introduction des fers anglais, le gouvernement britannique défendit à ses nationaux de nous en vendre.

Il y a chez les chefs d’industrie une répugnance instinctive à renouveler leur matériel, et ils ne s’y résignent que lorsqu’ils y sont forcés par la nécessité de la lutte : c’est qu’à part la mise de fonds qu’il faut faire, tout perfectionnement qu’on adopte est bientôt imité par le concurrent, et il n’y a profit en définitive que pour le consommateur, c’est-à-dire pour la nation prise collectivement. La merveilleuse invention que Watt avait conduite à l’état pratique n’était pas absolument inconnue de nos grands industriels. Un homme dont on a trop oublié les services, Périer, s’était voué à une espèce d’apostolat pour vulgariser chez nous les avantages de la pompe à feu, comme on disait alors. Même avant la révolution, il avait introduit en France une des meilleures machines de Watt, utilisée dès lors sous les yeux des Parisiens pour la distribution des eaux de la Seine. Il avait fait à ses risques et périls cinq voyages en Angleterre, et bien qu’il eût été dénoncé deux fois à la chambre des communes comme une espèce de conspirateur envoyé pour surprendre le secret de la puissance britannique, il était parvenu à rapporter les plans et l’outillage nécessaires pour installer à Chaillot un grand atelier de constructions. Il y avait assez bien réussi, on l’a vu, pour don-

  1. M. de Barral, préfet du Cher. Voyez son rapport dans le Journal des Mines, t. XXVI.
  2. Voyez le rapport de Berthollet à la chambre des pairs en 1814, et le discours de Lefèvre Gineau à la chambre des députés.