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receveurs-généraux. Le meilleur papier de commerce s’escomptait rarement au-dessous de 8 pour 100. Le tarif officiel de la Banque de France était à la vérité fixé à 6 ; mais cela profitait peu à l’industrie privée, parce que les ressources de l’établissement étaient le plus souvent absorbées par les réquisitions du gouvernement, ou accaparées par les grands capitalistes qui régissaient alors le monde financier.

Un homme doué d’une rare capacité pour les affaires et peu embarrassé par les scrupules, Ouvrard, avait imaginé une combinaison gigantesque, dont le résultat définitif devait être de faire affluer en France les trésors amoncelés dans les possessions américaines de la couronne espagnole depuis que la guerre avait interrompu les communications maritimes. Ouvrard se faisait fort d’apporter 262 millions de francs en doublons et en piastres. C’était à éblouir le monde commercial, où la pénurie des espèces causait tant d’embarras. Le ministre du trésor, l’honnête et naïf Barbé-Marbois, s’y laissa prendre comme le vulgaire des spéculateurs. Il y avait à faire des avances pour obtenir de la cour de Madrid les autorisations nécessaires. Le ministre livra une somme considérable en obligations des receveurs-généraux qu’Ouvrard s’empressa d’escompter. Le désir de participer à l’affaire donna lieu, dans le haut commerce, à des échanges de billets qu’on parvint à faire entrer aussi dans les portefeuilles de la Banque. D’un autre côté, le gouvernement, qui se préparait à une guerre décisive, exigeait l’escompte des papiers qui représentaient les contributions de l’année suivante. « En décembre 1805, a dit un homme en position d’être bien informé[1], sur 97 millions de valeurs escomptées que renfermait le portefeuille, il y en avait pour 80 millions en obligations des receveurs-généraux prêtés à 6 pour 100, et que, si la Banque eût cherché à les escompter, personne n’aurait voulu prendre à 12 pour 100. » Ce n’est pas tout. À mesure que rentraient les impôts, le gouvernement prenait dans les mains des receveurs les fonds destinés à l’acquittement des billets qu’on leur avait fait souscrire, de sorte que la Banque était obligée d’accorder des renouvellemens à l’échéance. L’encaisse ne tarda pas à tomber au-dessous de 1,200,000 francs en présence d’une émission de billets très considérable. Les régens, pour faire face autant que possible aux remboursemens, ramassaient à tous prix les traites sur les provinces, et les faisaient toucher par des agens spéciaux qui avaient ordre de renvoyer les espèces. Les villes de commerce, ne pouvant se passer de leur numéraire, avisaient

  1. M. Gautier, sous-directeur de la Banque de France et sénateur. Voyez son remarquable travail dans l’Encyclopédie du Droit.