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de bases. Peu à peu le mécontentement se manifeste, surtout dans les pays alliés qui n’ont pas de manufactures, et qui éprouvent doublement le besoin d’échanger les produits naturels de leur sol contre des objets fabriqués économiquement ; mais le vainqueur d’Eylau et de Wagram s’est élevé si haut que les doléances n’arrivent plus jusqu’à lui, Les résistances que rencontre son système continental, il les attribue à l’audace des contrebandiers, aux habitudes routinières des populations. Il n’a pas coutume de dévier quand il rencontre un obstacle : il l’écrase du pied et poursuit sa route.

En effet, la contrebande ou pour mieux dire la légitime résistance s’était organisée sur une large échelle. Un décret impérial du 18 octobre 1810 institua des cours prévôtales appelées à connaître exclusivement des crimes de contrebande : elles avaient pouvoir de prononcer sommairement, sans appel ni recours en cassation, des peines afflictives et infamantes, non-seulement contre les fraudeurs, mais contre les assureurs et négocians considérés comme complices. Malheur aux condamnés ! Ils étaient envoyés aux galères pour dix ans et marqués avec un fer rouge de deux lettres destinées à perpétuer le souvenir de leur félonie, « le tout sans préjudice de dommages et intérêts proportionnés aux bénéfices qu’ils auraient pu réaliser. » Remarquons en passant cette formule, qui permettait de taxer arbitrairement les personnes impliquées dans les poursuites. Malgré tout, les délits se multipliaient, les primes de la fraude devenant plus fortes à mesure que s’élevaient les prix des marchandises prohibées. On tenait surtout à proscrire les produits exotiques, parce que l’Angleterre, au moyen de sa marine sans rivale, en avait alors le monopole presque exclusif. Pour en déshabituer les populations, on frappa de droits énormes ceux de ces produits qui, n’étant pas de provenance anglaise, pouvaient être achetés impunément. Les sucres bruts et les cafés furent taxés à 400 francs le quintal métrique, le poivre à 600 francs, le cacao à 1,000 francs, la cannelle à 2,000 francs, non compris les décimes de guerre. On en vint à vendre le sucre à peine blanchi plus de 6 francs le demi-kilo, les autres denrées coloniales à proportion, et pour comble de disgrâce la falsification de ces articles fut poussée jusqu’au dernier degré de l’impudence. Le même régime fut appliqué aux matières exotiques indispensables à nos manufactures. Les tarifs sur les cotons en laine furent élevés systématiquement à des chiffres impossibles, de 440 à 880 francs par quintal, suivant les provenances. On conseilla d’abord au public de remplacer le sucre par le miel ou des sirops de fruits, le café par la chicorée torréfiée, l’indigo par la fécule du pastel, le quinquina par l’écorce du marronnier ; les journaux avaient mission de démontrer qu’en tout cela le patriotisme était d’accord