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jour du bonheur ; — mais tu vivras longuement, si ta vie n’est qu’une souffrance !


XV

Où sont les riantes contrées de mon pays natal, les plaines dorées par les moissons, les prairies émaillées de fleurs ? où sont les forêts de sapins dont les branches secouées par le vent produisent un murmure qui ressemble à une étrange et mystérieuse prière ? où est le babil aérien des alouettes ? où est la vieille église où dorment mes ancêtres ? où est le chant des litanies catholiques de mon peuple, — de ce peuple qui appelle la sainte Marie sa reine ?


XVI

Que s’est-il passé ? où suis-je ? ô mon Dieu ! Y a-t-il donc encore dans mon âme un recoin où le flambeau du souvenir ne s’est pas éteint tout à fait ? — Il est donc resté encore quelque chose d’humain en moi ? Il y a déjà vingt ans, — je ne sais, tu dois le savoir, ô mon Dieu, — depuis que je suis tombé inerte sur ce lit de mort, et que le sentiment du passé, du présent et de l’avenir s’est subitement obscurci en moi. — Mais voilà que maintenant tout à coup les ténèbres s’éclairent, et mon ange gardien revient me visiter. — Les larmes inondent mes paupières ; — il y a bien longtemps que je n’ai pas pleuré, — il y a bien longtemps que je ne rêvais à rien et n’aimais rien ! O mon ange, redonne-moi le souvenir et l’amour, ce que tout mortel reçut en partage. — Oh ! je t’en supplie, laisse-moi pour un instant retrouver mon âme, et rends-la-moi visible !


XVII

O mes pensées, vous souvient-il encore de ce qui se préparait dans le monde avant votre anéantissement, de quels pressentimens frémissaient toutes les poitrines humaines au moment où commençait votre agonie ? N’est-ce pas qu’une voix sortant on ne savait d’où, mais qui retentissait partout, prophétisait à la terre ce qui devait advenir ? « Les rois et les peuples interdits tomberont à genoux. — Le verbe incréé se fera entendre de nouveau dans les âmes créées en y raffermissant la foi, l’amour et l’espérance. — Les débris des siècles passés et les siècles futurs se dégageant de leurs nuages sombres, l’Esprit saint les confondra dans l’azur d’un même horizon éclairé par un seul soleil ; — car il viendra à la fin le sauveur des races humaines, le restaurateur des patries dépossédées, le vengeur céleste de tous les crimes commis envers l’humanité. — Il introduira la justice dans la politique de ce monde, et sa venue marquera une nouvelle ère, la troisième ère de notre planète. Il n’y aura plus de ces états factices qui, pour leur profit ou une vaine