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plus sur la question des territoires et sur celle de l’esclavage : l’autorité politique du sud était si bien établie que les ennemis du parti démocratique, renonçant à l’espoir d’abolir l’esclavage, avaient borné toutes leurs prétentions à lui fermer les territoires. Lentement, péniblement, on vit se former un parti qui, sous des noms divers, d’abord sous celui de liberty party, puis de tiers-parti, de free soil party, enfin sous celui de parti républicain, se donna pour objet d’empêcher l’extension de l’esclavage, et de rendre toute sa force à l’article de la constitution qui donnait au congrès autorité sur les territoires. Quand le parti républicain présenta aux suffrages populaires son premier candidat à la présidence, quel était son programme, ou, comme on dit en Amérique, sa plateforme ? Il importe de le rappeler : — adhésion à la constitution des États-Unis, — prohibition de l’esclavage dans les territoires (ainsi que de la polygamie, par allusion aux mormons), — rétablissement de l’ordre légal dans le Kansas, alors ensanglanté par la guerre civile, — admission immédiate du Kansas comme état libre, — réprobation de la circulaire d’Ostende. Le succès relatif de la candidature de M. Frémont démontra aux hommes politiques du sud que le nord commençait à se soulever contre leurs perpétuelles usurpations, et ne voyait pas sans crainte le continent de l’Amérique entière livré à l’esclavage, la paix extérieure compromise par les ambitions du parti qui parlait d’annexer Cuba, les Antilles, le Mexique et toute l’Amérique centrale. L’oligarchie du sud se sentit menacée, et, prévoyant que la direction politique de l’Union allait lui échapper, elle consuma les quatre années de la présidence de M. Buchanan en efforts ardens pour conserver le pouvoir ou pour rendre stérile la victoire de ses adversaires.

À ce moment, le lien qui unit la question constitutionnelle à la question de l’esclavage devenait de plus en plus visible. Après avoir arraché au nord, au nom de l’union, les plus nombreux, les plus honteux sacrifices, le compromis du Missouri, les compromis de 1850, la loi des esclaves fugitifs, le bill de Nebraska, les hommes d’état du sud se préparaient à sortir de l’Union le jour même où la balance politique cesserait de pencher en leur faveur. Les républicains n’avaient pourtant rien ajouté à leur programme : ils annonçaient seulement l’intention de limiter dans les territoires le domaine de l’esclavage. Cela suffit au sud : les arsenaux furent dégarnis dans tous les états libres, les navires de la marine fédérale disséminés dans tout l’univers, et sans l’honnêteté de M. Holt, un des secrétaires d’état de M. Buchanan et du général Scott, il est douteux que l’inauguration de M. Lincoln eût pu avoir lieu à Washington. La rébellion fut préparée à loisir : ce ne fut point la révolte unanime d’un peuple contre un gouvernement tyrannique, ce fut la tentative préméditée d’une aristocratie de maîtres d’esclaves déterminée à sortir de la république