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l’Union, où s’arrêtera-t-on ? Au lieu d’une grande nation, on aura deux confédérations jalouses et affaiblies, et bientôt ces confédérations elles-mêmes se dissoudront en une multitude de souverainetés. La grande sécession de 1860 ne peut être pour le parti constitutionnel américain qu’une rébellion, comme toute insurrection armée contre une autorité constitutionnelle établie. Il est facile de dire que la lutte actuelle est une guerre civile, une guerre fratricide ; mais de tels mots n’apprendront à personne comment le peuple américain pourrait conserver une constitution qui lui est chère en reconnaissant des actes qui en sont la violation la plus audacieuse, comment une confédération peut subsister, si les confédérés ne reconnaissent plus de devoirs communs, comment l’état est possible sans un souverain, que ce souverain se nomme roi, empereur ou peuple.


II

Si l’élection de M. Lincoln avait été accompagnée de violences, si le parti qui le mit au pouvoir avait attaqué les lois, brisé la constitution, menacé les droits des états du sud, on pourrait hésiter sur les caractères du mouvement sécessioniste ; mais l’on sait que jamais élection ne fut plus régulière, plus constitutionnelle. Le parti républicain ne menaçait pas le sud, n’annonçait pas le projet d’émanciper les esclaves, même dans l’avenir le plus lointain ; il se bornait à revendiquer l’autorité du congrès dans les territoires, pour enfermer l’institution servile dans ses limites actuelles. Ce parti d’ailleurs n’avait obtenu le triomphe que grâce aux divisions des démocrates ; les fractions ralliées de ce dernier parti pouvaient faire échouer tous les plans, toutes les tentatives de leur adversaire commun. Dans ces circonstances, on se demande avec étonnement pourquoi le sud fut si prompt à lever le drapeau de la révolte, tandis qu’il pouvait encore chercher à profiter de sa longue alliance avec les démocrates du nord, des avantages que lui assuraient le prestige de sa longue prédominance, la majorité dans le sénat, la composition de la cour suprême, dont les membres étaient tous dévoués à ses intérêts. Serait-il vrai que toutes les puissances, au moment de tomber, accélèrent leur chute par leurs propres efforts ? Ou cette détermination, qui ne semble d’abord que l’effet d’un orgueil frénétique, s’explique-t-elle quand on approfondit la cause de la lutte actuelle ?

Si l’on admet que l’esclavage est cette cause, on comprendra mieux les mobiles qui ont déterminé les hommes d’état du sud, car l’esclavage est une institution qui ne peut que tomber si elle cesse de grandir : la limiter dans l’espace, c’est la limiter dans le temps.