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capitale tombe entre leurs mains, qu’une nation européenne viole le blocus et déclare la guerre au gouvernement des États-Unis, que resterait-il à faire au peuple du nord ? Ne demandera-t-il pas d’une voix unanime à son gouvernement de recourir à ce remède héroïque que l’austère John Quincy Adams n’avait pas craint de couvrir de l’autorité de son nom ? Mais il faut écarter des suppositions qui ouvrent à l’esprit d’aussi sombres perspectives. Tant que la lutte sera renfermée dans ses limites actuelles, il est à croire que le sentiment populaire ne poussera point le gouvernement à provoquer la guerre servile. Comme Mme Beecher-Stowe l’écrit à lord Shaftesbury, « les hommes du nord, en leur qualité de pères, de chrétiens, de gens humains, ont voulu éviter aussi longtemps que possible de soulever l’effroyable tempête d’un conflit de races. Tenant dans notre main la mèche qui pourrait mettre le feu à la poudre, une pitié immense nous arrête. Notre gouvernement a désiré préserver notre armée de l’impulsion des passions vindicatives et en faire un instrument d’ordre et de tranquillité partout où elle se trouve. Une insurrection d’esclaves serait un grand malheur pour cette race opprimée, dont la liberté arrive apportée sur les ailes de chaque heure nouvelle. Sans direction et remplis de fureur, les nègres accompliraient des forfaits qui arrêteraient les sympathies du monde, et qui feraient avorter ce mouvement destiné à détruire la puissance de leurs oppresseurs. »

Quoi qu’il arrive, une chose est certaine : la crise actuelle doit mettre fin à la suprématie constitutionnelle de cette aristocratie de maîtres d’esclaves, qui depuis trop longtemps contrôle les destinées des États-Unis, qui a dicté au gouvernement la guerre avec le Mexique, qui l’a forcé à annexer le Texas, qui le poussait à s’emparer de Cuba, qui avait ouvert à son ambition d’immenses territoires plus vastes que l’Europe, qui avait humilié le nord, avili la presse et la chaire, ensanglanté la tribune nationale. Comme tous les pouvoirs de ce monde, le pouvoir des maîtres d’esclaves s’est perdu par ses excès : le sud a voulu expulser violemment de l’Union les états de la Nouvelle-Angleterre, peut-être ceux de New-York et de la Pensylvanie, et enfermer dans une confédération nouvelle tout le reste du continent ; il a voulu réduire les états libres à n’être plus qu’une puissance secondaire et vassale ; répudiant l’œuvre accomplie depuis 1787 jusqu’à 1860, il a prétendu faire commencer en 1861 l’histoire d’un empire nouveau ; il a cru pouvoir remplacer l’idéal politique fondé sur les idées d’union et de liberté par un idéal nouveau fondé sur les idées de la sécession et de la servitude. En acceptant le principe de la sécession, de la souveraineté absolue des états, les nouveaux confédérés font entrer dans leur œuvre l’élément