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Un peu plus loin, arrivé sur la grève, il s’arrêta soudain, ôta son habit et son chapeau, les jeta loin de lui, et, prenant à pleines poignées le sable humide, il en frotta, par un geste frénétique, sa poitrine mise à nu ; puis il alla s’agenouiller près d’une flaque d’eau, où il trempa sa tête à plusieurs reprises. Tout cela était accompagné de cris que je distinguais à peine. Mistress Tremlett semblait ne plus pouvoir supporter le pénible spectacle que son mari lui donnait. Elle avait placé ses mains sur ses yeux et demeurait immobile à la même place, tandis qu’il tournait autour d’elle, traçant sur le sable des cercles sur lesquels il s’appliquait ensuite à marcher avec je ne sais quelle précision minutieuse et puérile… Puis une autre fantaisie parut lui traverser l’esprit ; il vint à petits pas jusqu’à la limite des rochers, sous lesquels il parut cacher quelque objet dont je ne pus deviner la nature, après quoi il battit en retraite sur la pointe des pieds, et, arrivé à quelque distance, il se retourna brusquement. Un pistolet à la main, il visait, me parut-il, l’objet même qu’il venait de cacher, et la détonation de l’arme m’apprit que ce pistolet était chargé. Marian, à ce bruit, s’était retournée, mais lentement, sans tressaillir, et en personne pour qui un tel incident n’avait rien de très inattendu… Pour moi, je vous l’avoue, je tremblais comme la feuille en songeant au péril qu’elle courait, et je ne saurais vous dire quel fut mon soulagement lorsque je vis le misérable insensé recharger son arme avec du sable mouillé en guise de poudre…

Je n’étais pas le seul témoin de ce bizarre épisode : en me retournant pour quitter mon poste d’observation au milieu des rochers, je vis à douze ou quinze pas derrière moi un homme qui m’observait avec beaucoup d’attention. C’était le domestique de Tremlett. Aux premiers mots que nous échangeâmes, je vis que je pouvais me fier à lui, et lorsque je me fis reconnaître pour le médecin à qui sa maîtresse s’était secrètement adressée, cet homme se mit immédiatement à ma disposition. Grâce à lui, dès le lendemain matin, pendant que Tremlett dormait encore après une nuit fort agitée, je pus avoir avec sa femme un entretien particulier. Croiriez-vous qu’elle se reprochait de m’avoir appelé ? Et quand je lui parlai des mesures indispensables à prendre, mesures dont je m’étais occupé déjà sans perdre une heure, tant elles me paraissaient urgentes, c’est tout au plus si je pus lui arracher un consentement dont elle se faisait un crime. — Après tout, disait-elle, quand il me tuerait !… — Heureusement pour ma thèse, au moment où elle m’opposait cet argument difficile à réfuter, son enfant lui fut amené. Je le lui montrai sans lui répondre autrement, et alors se penchant toute en pleurs vers ce blond trésor d’espérances : — Pour lui donc, et pour lui seul ! murmura-t-elle avec un accent à la sincérité duquel