Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/185

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa cause personnelle. Tremlett parut s’en rendre compte, et l’écouta d’un bout à l’autre avec une nonchalance parfaite. De temps à autre cependant je surpris ou crus surprendre dans les regards obliques qu’il laissait tomber sur son cousin les éclairs d’une haine comprimée.

Sauf quelques témoignages secondaires, il ne restait plus à écouter que notre pauvre Blandling, à qui, je suis fâché de le dire, tous les désastres prédits par Me O’Ferrall arrivèrent coup sur coup. On avait pu espérer le contraire, au début de son interrogatoire, mené par le juge avec toute sorte d’égards et de ménagemens ; mais quand le terrible senior counsel, voyant à quelle bonne âme il avait affaire, entreprit d’y jeter le trouble et la terreur, nous assistâmes à une véritable torture. Une question n’attendait pas l’autre. Pour peu que Blandling hésitât en ses explications, la phrase commencée par lui était ironiquement achevée par son cruel interlocuteur, qui abusa, pour le mettre en contradiction avec lui-même, des égards excessifs que cet excellent homme avait eus, pendant les deux années de traitement, pour le malade confié à ses soins. — Eh quoi ! disait l’avocat, vous avez renvoyé coup sur coup jusqu’à onze domestiques sur les plaintes de mon client ? Vous aviez donc pleine confiance en lui ?… Vous ne le regardiez donc pas comme privé de raison ?… Et pourtant vous le traitiez comme tel, puisqu’il a dû recourir à une évasion secrète pour sortir de la captivité où vous le reteniez… Cette évasion, vous l’avez tacitement approuvée en ne cherchant pas à reprendre votre prisonnier… Voyons, monsieur, établissez les motifs que vous aviez de croire à l’insanité mentale de mon client…

Et l’avocat isolait, séparait, par un artifice bien aisé à déjouer, les singularités qu’on pouvait relever dans les actions de Tremlett. Son irritabilité, sa cruauté, par exemple, constituaient-elles un état de folie ? Le témoin nierait-il qu’il eût connu des gens très colères, très disposés à maltraiter les animaux, et qui cependant jouissaient de toute leur raison ? — Blandling en convenait humblement. — L’état maladif de Tremlett, les infirmités physiques auxquelles il était sujet, impliquaient-ils un bouleversement complet dans l’équilibre de ses facultés intellectuelles ? — Non, répondait encore Brandling, on peut être aussi malade et n’être point fou ! — Ce seraient donc les dissimulations, les mensonges reprochés à Tremlett qui devraient le faire enfermer à Bedlam ou à Saint-Luc ? Mais à ce compte il faudrait centupler ces sortes d’établissemens. — Le témoin était forcé d’avouer qu’on pouvait mentir beaucoup sans se voir loger en de telles résidences. — Si, prises une à une, continuait l’avocat, ces conditions ne suffisent pas pour établir la folie, c’est sans doute en les réunissant que vous espérez la prouver ; mais alors combien