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règle, comme discipline, comme devoir enfin ? Ce devoir n’est-il pas pour les gouvernemens comme pour les individus ? À toutes ces questions, si vous répondez oui, vous conclurez d’abord au gouvernement de la nation par elle-même, vu que rien ne garantit une corrélation intime entre ce qui naît sur le trône et ce grand devoir de justice, — puis au gouvernement de la nation par les meilleurs, toujours en vue de la justice, qui n’est pas plus le fait de tous que du premier-né d’une reine, — enfin à des procédés pour reconnaître et instituer cette élite politique, cette souveraineté des meilleurs. Cela veut dire, mis en œuvre et traduit en lois, que certains auront le droit, en vertu de leur mérite présumé, d’élire le législateur ou même d’être élus législateurs. Il faut bien que la garantie des choix se rencontre quelque part : il est même spécieux de dire qu’elle doit être partout, c’est-à-dire chez le mandataire comme chez le mandant. En deux mots, suffrage restreint, cens électoral, cens d’éligibilité, tel est le mécanisme qui découle théoriquement des principes qu’on vient d’exposer. Ceci ne représente pas moins que le gouvernement et les élections que nous avons vus fonctionner en France de 1814 à 1848.

On va me dire que j’oublie la royauté en parlant du mécanisme électoral comme si tout le gouvernement sortait de là. Oui, je fais volontiers abstraction de la royauté ; mais les pays libres font de même, obligeant la couronne à user de ses droits comme l’entendent les représentant de la nation, par exemple en ce qui touche le choix des ministres et des chambellans, la politique extérieure, le droit de grâce, etc. Cela ne s’écrit pas, mais cela se fait, de telle façon qu’on n’est pas coupable d’oublier le fond des choses à parler des électeurs et des élus comme décernant ou exerçant le pouvoir souverain.

Peut-être rejetez-vous les données qu’on exposait tout à l’heure : raison, idées absolues, justice, devoir ; vous arrivez alors, par une métaphysique et par une morale toutes différentes, à une manière non moins différente de comprendre le représentatif.

Si vous réduisez l’homme aux sensations, voici son programme et ses limites : il aura, comme être sensible, des impressions de peine et de plaisir ; il aura, comme être intelligent, l’idée qu’il faut fuir l’une et chercher l’autre ; il aura enfin, comme être moral et actif, le mobile contenu dans cette idée, l’impulsion des intérêts. N’ayant pas autre chose dans toute sa substance individuelle, il ne saurait fournir une autre base aux constructions politiques et sociales.

Je sais tous les efforts, toutes les contorsions de Y utile pour s’élever et se raffiner… « Il y a des peines et des plaisirs de l’ordre moral ; il y a des intérêts comme celui de la patrie, celui du salut ; il y