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que par vingt-neuf ou par trente et un ? Il n’est pas plus déraisonnable, dans l’assiette des droits politiques, d’user d’approximation pour apprécier la valeur morale des hommes. Le fait est qu’il faut des règles, en certains cas, et leur vice inévitable vaut mieux que leur absence.

Ces explications sont plausibles ; mais il reste à savoir si le suffrage restreint n’a pas un travers odieux, qui est de laisser au dépourvu les intérêts populaires, en les tenant à l’écart du droit électoral. Les lois, étant faites par les élus du petit nombre, ne seront-elles pas uniquement à son profit, non pas peut-être avec un oubli volontaire, mais avec une insouciance toute naturelle des classes les plus nombreuses, de ces existences précaires, de ces humbles destinées qui font les frais et qui portent les ombres de la prospérité publique ? Toute loi devrait être un allégement de leur condition. Le. socialisme est une vérité quand il signifie application spéciale de la politique au bien des masses ; or jamais la politique n’aura cette vertu, jamais le législateur ne prendra cette tutelle, si le mandat populaire ne leur en fait une nécessité.

Cette conclusion est excessive, diront les partisans du suffrage restreint. N’oubliez pas que nous attribuons le droit politique à l’élite du pays d’après des règles qui ne sont pas infaillibles, mais qui produiront toujours quelques défenseurs et même quelques triomphes de l’intérêt populaire. La garantie ne semble pas riche ni assurée ; cependant quelques indices feraient croire qu’elle est efficace. L’abolition des lois sur les céréales a été votée en Angleterre par les pouvoirs, par les classes qui avaient le plus d’intérêt à les maintenir. Le même pays fait à ses pauvres, encore qu’ils ne soient pas souverains, une liste civile de 200 millions. En France, quelques faits sont à noter, de moindre importance, mais de même nature : telles sont les écoles primaires et les caisses d’épargne, où l’état s’est fait, particulièrement depuis 1830 surtout, l’instituteur et le banquier des masses, à grands frais et à grands risques, instituteur presque toujours gratuit, banquier comme on n’en voit pas, restituant à toute réquisition les dépôts dont il sert les intérêts au cours légal.

Ainsi une garantie de bien public et même de bien populaire peut se rencontrer dans certaines lois constitutives d’une élite politique, d’un pays légal, comme on disait il y a vingt ans. Est-ce que M. de Maistre aurait raison de dire qu’il peut y avoir des représentons qui ne soient pas des mandataires ? Peut-être bien que oui, mais en tout cas à une condition qu’il néglige : la liberté de la presse. Dans des pays où la publicité se lève tous les matins comme le soleil, où l’opinion est une puissance, où les raisons de bien public sont les seules qui puissent s’avouer, il n’y a pas d’intérêt qui, soit pour sa propre