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me dit-il, Allah est bon, sois comme lui ; par ma barbe blanche, je te jure que désormais les Francs seront honorés parmi nous. »

C’est en Chypre qu’il faut venir pour voir des musulmans tels qu’ils durent être dans les premiers temps de l’islamisme : ils n’ont en rien changé, ils sont honnêtes pour les affaires d’argent et très religieux, ils ne boivent pas de vin, ne mangent pas de porc et font régulièrement leurs ablutions et leurs prières ; mais ils sont fanatiques, fatalistes, et d’une ignorance extrême. Leurs femmes sont strictement voilées ; si vous les surpreniez sans voile, elles enlèveraient volontiers le linge qui couvre leurs seins pour se cacher la figure. Conquérans de l’île, les Turcs traitent les Grecs avec un profond dédain. Leurs habitations sont séparées de celles des chrétiens, souvent même ils demeurent dans des villages particuliers ; on distingue au loin ces villages à la telle végétation qui les entoure, le musulman est l’ami des jardins.

Les Grecs sont moins honnêtes que les Turcs, mais plus intelligens et plus hospitaliers pour les chrétiens. Il en est peu chez lesquels on puisse admirer le type grec ; la domination turque les a chargés de trop de souffrances. Pourtant à Larnaca, où vivent les Grecs les plus riches, on voit de très belles filles : elles ont des cheveux noirs fort épais qu’elles relèvent en guise de diadème au-dessus de leur front et qu’elles ornent de fleurs naturelles ; cette coiffure ajoute à leur beauté. Dans un village grec de la partie orientale de l’île, Rhizo-Carpasso, les habitans ont les yeux bleus, le teint clair, des cheveux blonds tombant sur les épaules. D’où vient ce type blond perdu au milieu des types bruns des autres Cypriotes ? Les habitans de Rhizo-Carpasso ne seraient-ils pas un reste des Français amenés par les princes de Lusignan au temps des croisades ? On trouve en Chypre plusieurs vestiges du passage des Français, et c’est une opinion généralement répandue qu’un jour nous reprendrons la domination de l’île ; cette idée est sympathique à une partie de la population.

Il règne dans l’île quelques superstitions singulières, notamment celle du mauvais œil. Un regard suffit, dit-on, pour vous tuer, vous, votre enfant, votre âne, ou pour amener la perte de votre récolte, l’incendie de votre maison. Bien des personnes ont été gravement maltraitées parce qu’on les accusait d’avoir jeté un regard funeste. Comme le premier coup d’œil est le seul que l’on croie dangereux, un grand nombre d’Orientaux, en vous abordant, détournent la tête. On a soin aussi de placer à l’entrée des habitations des objets bizarres qui attirent la vue ; c’est pour cette raison que beaucoup de maisons et de jardins sont déshonorés par des crânes de chevaux et de moutons mis en évidence. Les Cypriotes rendent une sorte de