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d’une contrée nous prépare à celle de ses productions. La constitution géologique de Chypre a dû former une terre fertile, car ses roches, généralement peu endurcies, se sont désagrégées facilement, et elles sont assez variées pour avoir fourni de bonnes proportions d’alumine, de silice, de chaux, de magnésie. La température est favorable aux fruits ; tous ceux du Levant réussissent dans l’île ; on voit des orangers tellement chargés qu’on laisse perdre une partie de leurs produits. C’est sans doute à cause de la beauté des arbres fruitiers de Chypre que la fable y fait croître, au milieu du champ de Tamassus, l’arbre sur lequel Vénus cueillit les trois pommes d’or dont le charme permit à Hippomène de vaincre et de posséder la belle Atalante.

Strabon nous apprend qu’anciennement l’île était envahie par les forêts au point que les agriculteurs ne pouvaient la cultiver. Suivant Ammien Marcellin, telle était la richesse de la végétation qu’on y pouvait construire un navire depuis la carène jusqu’au sommet des mâts et l’équiper entièrement sans avoir besoin de tirer aucune pièce des pays étrangers. « Les Cypriotes, écrit Elien, prétendent qu’ils habitent une terre privilégiée et que leurs champs ne sont en rien inférieurs à ceux des Égyptiens. » Athénée raconte que le blé de Chypre est si agréable au goût qu’il attire les hommes comme la pierre d’aimant. Chypre se trouva donc dans des conditions tout autres que plusieurs des pays les plus fameux habités par les Grecs, et notamment que l’Attique ; le ciel et la terre de cette dernière contrée semblent avoir été faits pour enfanter les arts, mais non la richesse agricole : ses belles montagnes de marbre sont improductives, et des vents continuels dessèchent encore cette terre, déjà très sèche naturellement. Au contraire à Chypre les conditions géologiques et climatologiques ont formé un sol fécond et ont ainsi préparé toutes les douceurs de la vie matérielle : aussi ce n’est point Minerve, mais Vénus qu’on y adora. Dans une île aussi prospère au point de vue agricole, Cérès dut également avoir un temple ; en effet, on lui avait dressé un autel. Pendant neuf nuits avant les fêtes de Cérès, les femmes s’éloignaient du commerce des hommes ; ; c’était sans doute une allégorie montrant que la volupté ne peut s’allier aux durs travaux de l’agriculture.

Il ne faudrait point cependant croire que Chypre soit couverte de bocages. Si dans l’antiquité elle a renfermé de vastes forêts, c’est sans doute parce que la main de l’homme n’en avait point gêné l’accroissement, car en Orient les arbres grandissent péniblement. La richesse des pays chauds est très différente de celle des contrées septentrionales. À celles-ci, la Providence a donné une magnifique végétation arborescente. Sans les bois des forêts, comment l’Européen