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par-dessus les bras. Aussi, dans les moindres masures, les femmes et les filles ont continué d’élever des vers à soie. Leur travail, qui se bornait presque aux besoins du ménage, a suffi pour que l’industrie de la soie se soit conservée ; il a été aisé de la développer, tandis qu’il eût été long et difficile de la créer. Ce sont les Européens qui eurent la gloire de relever la sériciculture en Orient. Aucun filateur européen n’est encore venu se fixer à Chypre ; aussi la fabrication est-elle restée la même. Cependant la production augmente rapidement, parce que les débouchés deviennent très avantageux. La meilleure soie de l’île est celle de Paphos. Cette supériorité résulte principalement de l’emploi de mûriers non greffés, et peut-être aussi de la vieillesse des arbres. « L’expérience, dit Olivier de Serres, monstre que la feuille des vieux mûriers est plus profitable et saine aux vers que celle des jeunes,… communiquant telle qualité avec la vigne, qui meilleur vin rend vieille que jeune. » D’ailleurs le district est montagneux, et les soies des montagnes sont toujours préférables à celles des plaines. Aujourd’hui les pauvres fileuses animent seules les ruines de Paphos ; leur soie est le seul luxe qui subsiste sur une terre si longtemps célèbre par sa richesse.

Avec les divers élémens que nous avons réunis, il nous est maintenant facile de nous représenter le tableau que Chypre dut offrir dans les temps antiques. Alors toutes les barques de Tyr, de Sidon, de Grèce, d’Afrique, d’Asie-Mineure, croisaient dans ses parages. Peu expérimentés dans l’art de diriger les voiles, les nautoniers devaient s’abriter souvent dans ses ports et rendre grâce aux dieux, qui avaient placé Chypre comme un point de relâche au sein de la Méditerranée. Des forêts s’étendaient dans toute l’île, et en faisaient un sanctuaire où les rayons du soleil brûlant pénétraient à peine. Bientôt une nombreuse population se pressa sous ces ombrages. Ici on arrachait aux entrailles de la terre le cuivre précieux et des pierres rares, là on ouvrait des carrières dans des calcaires d’une exploitation facile, et on élevait des palais aux héros, des temples aux dieux. Sur un autre point, la cognée abattait les arbres séculaires, et Cérès prodiguait dans les plaines tous ses trésors, tandis que sur les collines croissaient des vignes dont le jus parfumé égalait le nectar. Le long des rivages, on construisait des navires de toute pièce, sans qu’on eût besoin de rien emprunter aux autres contrées, tant était merveilleuse la variété des produits ! Ainsi le commerce maritime, l’agriculture et l’industrie se donnaient la main pour enfanter les richesses. Comme alors Chypre était belle, avec sa, population venue de tous les points du monde, avec ses ports remplis de mille navires, avec son manteau de forêts ! Puis, le Mont-