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les organes de l’opinion libérale, si la presse eût conservé dans sa liberté le pouvoir d’exercer cette police sociale et politique que personne ne peut faire avec plus d’efficacité et à moins de frais qu’elle.

Parlons d’abord de la société de Saint-Vincent-de-Paul. Nous ne pensons pas que personne, même parmi ses adversaires actuels, puisse porter un jugement défavorable sur l’origine et sur l’objet de cette vaste association charitable. On connaît l’histoire de ses modestes débuts. Elle fut en 1833 la création spontanée de quelques jeunes gens, de quelques étudians. Son principal fondateur fut un des hommes de notre temps qui ont le plus honoré les croyances catholiques, Ozanam, âme chrétienne, esprit libéral, dont l’érudition, l’éloquence, la charitable ardeur, ont excité une générale estime et d’universelles sympathies. Toute pensée politique fut assurément étrangère à l’œuvre entreprise par les étudians que guidait Ozanam : ils ne s’attendaient certes point au développement immense que leur société devait prendre ; ils ne se doutaient point que les conférences filles de celle qu’ils formèrent seraient un jour capables de faire ombrage aux pouvoirs publics. La cause de leur rapide succès fut sans doute l’innovation que la société de Saint-Vincent-de-Paul introduisit dans la pratique de la bienfaisance. L’objet des fondateurs ne fut pas seulement le soulagement des pauvres par la distribution des aumônes : leur pensée neuve fut de créer des rapports personnels fréquens et pour ainsi dire intimes entre les membres de la société et les familles frappées d’indigence. Ils crurent qu’il était bon de mettre continuellement les membres charitables des classes aisées en face des réalités de la misère. Il y avait là une féconde pensée d’humanité. Il y a plusieurs moyens de porter secours aux classes souffrantes, et certes aucun de ces moyens ne doit être regardé avec indifférence. On sert cette grande cause en travaillant par la philosophie, par l’économie politique, par la politique, à élever la condition du peuple et à l’affranchir progressivement, grâce au mouvement général de la société, des servitudes de la misère morale et matérielle : on soulage bien des douleurs en confiant ses dons aux intermédiaires naturels de la bienfaisance publique et religieuse ; mais aller s’instruire au spectacle même de la pauvreté, se mettre en communication avec l’âme et la vie des malheureux, c’est augmenter l’efficacité de l’aumône en alimentant à une source constante la sainte passion de la charité. Même au point de vue exclusif de l’humanité, au temps actuel et dans une société comme la nôtre, où les contacts sympathiques entre les diverses conditions de la vie sont devenus si rares, il y avait une grande pensée d’intérêt social dans la conception d’Ozanam, et nous ne sommes point surpris du rapide succès qu’elle a obtenu longtemps même avant que la société de Saint-Vincent-de-Paul eût acquis la puissance politique à laquelle elle doit ses ennemis.

L’histoire de cette société, le spectacle des antagonismes qu’elle rencontre aujourd’hui, démontrent assez clairement de quel profit est la liberté