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s’expose à blesser d’honorables sentimens : mieux vaut être dispensé de ces manifestations pénibles par le libre jeu des libertés générales. La considération d’une notable portion de la presse a été sérieusement affectée par les polémiques qui ont précédé et suivi la circulaire du ministre de l’intérieur. Après soixante-dix ans de révolutions, et quand nous avons appris, par des expériences si réitérées, combien il en coûte aux causes politiques d’abandonner leurs principes pour l’apparence d’un avantage passager, nous avons malheureusement encore parmi nous des hommes politiques et des journaux qui se croient habiles en défendant des intérêts libéraux par des procédés que la liberté répudie. Ces journaux, qui devraient être partisans de l’esprit d’association, et qui sont tenus par les principes qu’ils affichent, de réclamer la liberté pour tous dans cet ordre des manifestations de la vie sociale, ont, après l’avoir provoqué par de longues dénonciations, applaudi au coup dont la société de Saint-Vincent-de-Paul est atteinte. Hélas ! ces tactiques ne sont pas même habiles. Est-ce que des libéraux ont le droit de combattre leurs contradicteurs autrement que par les forces naturelles de la liberté, en sollicitant des coups d’autorité qui peuvent retomber sur eux-mêmes ? Que fait-on par de pareilles manœuvres, si ce n’est pousser les choses de réaction en réaction et épaissir le scepticisme de l’esprit public ? Est-il permis d’être bien fier d’avoir le pouvoir pour soi contre ses rivaux, lorsqu’on a vu, il y a si peu d’années, l’ancien Univers s’enorgueillir de posséder une telle supériorité sur ses adversaires, et lorsqu’on voit où il a été conduit, lui et son parti, par une confiance si peu généreuse ? Le grand exemple de M. de Cavour, qui n’a jamais voulu fausser chez ses ennemis les armes de la liberté, qu’ils retournaient contre lui, ne donnait-il pas d’autres leçons à des hommes qui se proclament ses admirateurs ?

Un des mérites les plus incontestables de la liberté de la presse, c’est de fournir, à travers le conflit des opinions, des indications à peu près certaines sur les tendances de la politique générale du pays où ces opinions se produisent. En France, la direction de apolitique n’émanant plus des assemblées ou ne résultant plus de la pression de l’opinion sur le parlement, cette précieuse source de renseignemens fait défaut. Ceux qui ont intérêt à pressentir les événemens prochains espéraient du moins recueillir ça et là d’utiles informations sur les solutions de l’avenir dans les feuilles qui sont consacrées à l’apologie systématique de la politique du gouvernement. Ce genre d’informations nous manque absolument à l’heure qu’il est : la situation de la presse officieuse redouble aujourd’hui les perplexités de l’opinion. Nous avions autrefois des crises ministérielles ; ce n’était pas le moins piquant chapitre du roman du régime représentatif. Nous n’avons plus la distraction de ces péripéties, où les personnes étaient en jeu autant que les politiques. Nos plaisirs se sont abaissés : nous sommes obligés de les prendre dans les mouvemens du personnel de la presse officieuse. Les écrivains de cette presse ont, paraît-il, l’humeur voyageuse, et ils viennent d’opérer un