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déménagement général. Qu’annonce ce remaniement des cadres de la presse dont nous parlons ? Que présagent ces apprêts où chacun essaie de renouveler et de ramasser ses forces ? A quels combats se prépare-t-on, et contre quel invisible ennemi ? Quoi qu’il en soit, le mouvement terminé, il en résulte que deux journaux, également indépendans et dévoués, se sont positivement renforcés. Ici c’est le Constitutionnel conduit par ce vétéran humoriste à qui il a plu un jour de se décorer du nom de bourgeois de Paris, et auquel M. Sainte-Beuve prête la coopération de sa plume spirituelle et hardie ; là c’est la Pairie, dirigée, assure-t-on, par un écrivain qui a fait une grande fortune en ce temps-ci, celui-là même qui a reçu et transmis au public les plus importantes confidences de la politique du règne, et qui n’a quitté naguère la direction générale de la presse au ministère de l’intérieur que pour prendre place au sénat. Le Moniteur a beau nous dire, comme pour retirer l’autorité qui déjà s’attache à ces deux journaux reconstitués, que lui seul est l’organe officiel du gouvernement, et que le régime présent ne saurait avoir d’organe semi-officiel ; cette déclaration du Moniteur était superflue : on ne s’est jamais attendu à trouver ailleurs que dans ses colonnes les communications officielles du gouvernement. Là n’est pas la question. Qui ne sait que la politique se prépare, s’essaie ailleurs que dans les déclarations officielles, et que, lorsqu’on en vient à l’officiel, c’est que l’important est déjà fait ? Nous sommes donc, avec le public, disposés à prêter une grande attention et aux signes du temps que M. Véron voudra bien nous laisser entrevoir et aux demi-révélations que l’inspirateur de la feuille rivale ne refusera point à notre curiosité.

Sans aller aussi loin que certaines gens, qui nous condamneraient volontiers à ne cultiver d’autre art que celui de ne rien dire, nous convenons que l’amusement du spectacle a en ce moment pour nous plus de charmes que l’émotion de l’action. Nous laissions donc volontiers la parole à nos illustres confrères, et c’est en auditeurs avides que nous avons recueilli leurs premiers mots. Malheureusement la pièce ne s’est pas ouverte par une scène heureuse : les deux journaux indépendans et dévoués n’ont eu pour première pensée que de se combattre, et ont même échangé des mots amers : simple rivalité de zèle dont nous nous consolerions, si elle ne couvrait pas sur un point qui nous intéresse une absolue contradiction d’idées. Le journal que M. Véron mène au combat s’est prononcé contre le pouvoir temporel du pape ; le journal dont on attribue la direction à une autre influence s’est prononcé en termes catégoriques pour la conservation du statu quo à Rome. Nous en sommes donc réduits à demeurer aussi ignorans que devant touchant les desseins de la politique française à Rome. Heureux M. Rattazzi, s’il retourne à Turin mieux informé que nous, et s’il lui est permis d’apporter au parlement italien, qui s’ouvrira bientôt, un plan de conduite plus consolant que cette menaçante expectative où s’use peut-être la sagesse trop éprouvée de la nation italienne !