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maladive de cette partition de Pierre de Médicis, composée de ressouvenir, de Verdi ed altri maestri ! Ce sont des imprécations, des exclamations, des stanci et des points d’orgue continus qui ne vous laissent pas un moment de repos. Excepté M. Faure, qui chantait pour la première fois la partie de Julien de Médicis, remplie dans l’origine par M. Bonnehée, les autres rôles sont encore remplis par les artistes qui les ont créés il y a six mois. Mme Gueymard, qui a été beaucoup applaudie dans le rôle de Laura Salviati, est toujours cette jolie Flamande bien portante et bien joufflue qui chante de tout son cœur et de toute sa belle voix, sans que cela paraisse suffisant. Elle manque de distinction comme comédienne, et ne paraît pas se douter que l’art de chanter se compose de nuances. Sa voix, qui était d’une si bonne trempe, devient courte et s’essouffle promptement. Mme Gueymard, qui se croit, bien à tort, une cantatrice di cartello, comme on dit en Italie, n’a pas fait un pas en avant depuis qu’elle est à l’Opéra. Elle y a seulement contracté un défaut qui tend à devenir bien désagréable : elle remue le menton à chaque mot qu’elle prononce, et ne peut lier deux sons sans déranger la symétrie de sa jolie figure. Le véritable intérêt de cette reprise d’un ouvrage médiocre était l’apparition de M. Faure. Il est jeune, d’un physique agréable, intelligent, et doué d’une voix de baryton qu’il dirige habilement, mais qui pourrait être d’une meilleure qualité. En effet, la voix de M. Faure, qui a du mordant et de l’étendue, semble venir du fond de l’épigastre, et produit un effet singulier de ventriloquie. Enfant de Paris et élève du Conservatoire, M. Faure a débuté à l’Opéra-Comique il y a quelques années, et s’est fait particulièrement remarquer dans le Pardon de Ploërmel, où il a créé le rôle d’Hoël avec beaucoup de succès. Pourquoi M. Faure a-t-il quitté le genre mixte de l’opéra-comique, auquel la nature semble l’avoir destiné, pour courir les aventures d’un virtuose italien dans une langue qu’il ne connaît pas ? Il a dû s’apercevoir à Londres et à Berlin qu’on ne donne pas facilement le change à sa vocation. M. Faure a mieux fait de se risquer sur la grande scène de l’Opéra, où il a été accueilli avec faveur et justice. Il a chanté avec beaucoup de goût l’air du troisième acte, et a prêté à tout le rôle de Julien de Médicis une dignité que M. Bonnehée ne connaissait pas. L’administration de l’Opéra, en attirant M. Faure dans ses filets, a fait un acte d’habileté. Il reste à savoir si l’artiste n’a pas commis une grosse maladresse en jouant ainsi le tout pour le tout. Que la destinée de M. Roger serve d’exemple modérateur à M. Faure !

Le théâtre de l’Opéra-Comique, qui est aussi subventionné par l’état, ne s’inquiète pas plus que l’Opéra du qu’en dira-t-on de l’opinion publique, et il poursuit sa modeste carrière avec de vieux chanteurs et des opérettes d’un jour, qu’il se fait écrire par des financiers en belle humeur. M. Battaille, docteur-médecin, qui a publié un mémoire très curieux sur la phonation, mémoire avec lequel on est bien sûr d’apprendre l’anatomie, mais non pas l’art de chanter, M. Battaille en un mot, qui a longtemps parcouru le monde et le Théâtre-Lyrique, est revenu à l’Opéra-Comique, où il a vu le jour en qualité de chanteur dramatique. Il y est revenu avec un talent fatigué et la voix sourde qu’il a toujours possédée. Il a été suivi immédiatement par M. Roger, hélas ! qui a débuté dans les Mousquetaires de la