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qui commençaient à se dérouler devant nos yeux, et sur lesquelles allait avoir lieu le quatre-vingt-unième Derby, avaient été le théâtre d’une scène historique. C’est là qu’en 1648, par une matinée de mai, se réunit une bande de royalistes. Le prétexte de ce meeting était une course de chevaux, mais au fond le rassemblement se proposait de concerter des moyens pour la restauration de Charles Ier. Les parlementaires eurent vent de ce qui se passait, et envoyèrent le major Andeley, à la tête de trois détachemens de cavalerie, pour disperser les rebelles ou pour leur livrer bataille. Le major, ayant reconnu que l’affaire serait chaude et qu’il ferait bien de prendre haleine avant de s’engager, s’établit avec ses troupes sur Red-Hill. Les royalistes profitèrent de l’armistice pour se retirer. Après s’être évités et poursuivis durant plusieurs jours, les ennemis se rencontrèrent enfin entre Nonsuch et Kingston, où à la suite d’une vaillante défense les royalistes furent mis en déroute. Malgré ces souvenirs historiques et malgré l’ancienne réputation de ses eaux, Epsom est aujourd’hui une très petite ville qui sommeille dans la plus parfaite obscurité, et qui ne s’éveille que deux fois l’an, le 11 avril pour les courses du printemps, puis à la fin de mai pour le grand jour du Derby. Ce jour-là, Epsom se trouve littéralement envahi, et tout ce que les humbles boutiques de la ville peuvent contenir de vivres ne vaudrait pas les cinq pains d’orge et les deux poissons dont parle l’Évangile, divisé entre l’innombrable multitude qui couvre depuis la matinée le désert des dunes.

Notre omnibus entra triomphalement dans un enclos réservé aux voitures en face du terrain des courses, et où chacune d’elles paie une guinée. On détela les chevaux qu’on attacha aux rayons des roues, et nous descendîmes tout blancs de poussière. Des hommes armés de brosses nous proposèrent leurs services, qui furent acceptés avec joie. Si le Derby durait toute l’année, ces hommes seraient riches, ne reçussent-ils de chaque voyageur que quelques pence. Ces mille services intéressés, qui se renouvellent sous toutes les formes, expliquent jusqu’à un certain point l’immense concours de pauvres diables qui se rendent à cette partie de plaisir. Je dois pourtant dire que la plupart d’entre eux sont surtout attirés à Epsom par le grand attrait des courses, qui exercent une sorte de magie sur toutes les classes de la société anglaise. Il était à peu près midi, et, comme les chevaux ne devaient point courir avant une heure, quelques groupes jugèrent à propos de prendre leur lunch. Le peu de gazon qui n’avait point disparu sous la foule des hommes et des voitures se couvrit en conséquence de nappes blanches. Il y a diverses tables d’hôtes ou divers pique-niques, selon les degrés de fortune et selon les enclos. Toutes les conditions sociales se trouvent en quelque