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des services qu’on attend d’eux. Ceux-ci ont la beauté de la course ; ce sont les oiseaux de leur race (flyers) : ils ne courent même point, ils volent. Avec leur robe lisse et luisante comme du satin, leur crinière tressée ainsi que la chevelure d’une jeune Anglaise et leurs jockeys de deux ou trois couleurs sur le dos, ces chevaux se dirigèrent à travers le champ clos vers le point de départ (starting post). Dès qu’ils parurent dans la plaine, à la vue de ces créatures en chair et en os, lesquelles n’étaient guère jusqu’ici que des mythes flottant dans les rêves et les imaginations de la foule, la fièvre des paris redoubla avec une ardeur effrénée. La vaste surface des bruyères d’Epsom n’était plus que l’immense tapis vert d’une table de jeu sur laquelle pleuvaient des pièces d’or. Fiers de porter sur leur tête la fortune de plusieurs milliers d’hommes, les chevaux étaient arrivés plus ou moins dociles en arrière du poteau d’où ils doivent s’élancer dans la lice.

Le champ des courses venait d’être éclairci, quand un chien, profitant de la circonstance, se mit à parcourir de toute sa vitesse l’enclos vide au milieu d’un tonnerre d’applaudissemens ironiques. Il est curieux d’observer à quel point les moindres incidens, qui passeraient inaperçus dans une petite réunion d’individus, soulèvent d’intérêt et de clameurs au sein d’une immense foule excitée déjà par les émotions les plus violentes. Un de mes voisins me dit : « Je le connais ; c’est un chien piqué par la mouche de la célébrité. Tous les ans, au Derby, il recommence le même manège, et je dois dire qu’il a réussi à faire parler de lui, car ses exploits sont racontés invariablement par tous les journaux anglais qui rendent compte de la fête. » Ce chien jouit en effet dans le monde des courses d’une notoriété incontestable.

Le starting post était maintenant l’objet de la, curiosité générale. Ce n’est point une petite affaire que de bien diriger l’importante manœuvre du départ ; le starter (l’homme qui donne le signal) doit avoir de l’énergie, de la patience et un coup d’œil sûr, car parmi ces intraitables coursiers les uns échappent comme une flèche à la main qui veut les retenir, d’autres bondissent et refusent de se soumettre à l’alignement. Quand ils sont enfin rangés sur une seule file, à deux cents mètres du poteau, le starter plante en terre le grand bâton de deux couleurs qu’il tient à la main, et s’écrie d’une voix forte : Go (allez !) Au même instant, le drapeau rouge, qui est près du poteau, s’abaisse ; c’est sur ce drapeau que les jockeys doivent surtout fixer les yeux. « Ils partent, ils sont partis ! » tel est le cri qui retentit aussitôt de dune en dune. Alea jacta est ! Le turf palpite, il vit, tant les chevaux semblent se confondre avec l’espace qu’ils dévorent. Ces fils du vent montés par