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où, croisés avec des chevaux anglais, ils devinrent la souche d’une race et l’origine d’un commerce très étendu. La Grande-Bretagne fournit aujourd’hui des chevaux de course et des jockeys à toute l’Europe[1]. On ne s’étonnera donc plus que le horse training (éducation des chevaux) soit pour la petite ville de Newmarket une source de profit très considérable, un grand nombre de ces créatures, les plus belles et les mieux dressées qu’on puisse trouver dans le monde, étant tous les jours exportées à des prix extravagans. La nature concourut d’ailleurs avec le hasard à faire la spécialité de l’endroit. Un training-ground. (terrain pour les exercices équestres) s’étend à plus d’un mille et demi sur une montée douce et tapissée d’herbe, merveilleusement appropriée, disent les connaisseurs, pour tenir les chevaux dans le vent.

Deux motifs m’avaient conduit le 1er octobre 1861 à Newmarket. D’abord je désirais voir les courses, qui ont lieu six ou sept fois dans l’année, et qui ne ressemblent à aucune des autres courses de chevaux ; ensuite je me proposais de visiter ces établissemens, uniques en Europe, où l’on développe les qualités naturelles du coursier anglais. J’étais accompagné du rédacteur en chef du sporting life, M. Feist, qui voulait bien me servir de guide et m’initier aux mystères du turf. Les Newmarket races ont lieu près de la ville, dans une bruyère (heath) qui s’étend sur une longueur de quatre milles, et qui ne présente d’abord à la vue qu’un océan d’herbe. Elles se distinguent de toutes les autres courses en ce qu’il ne faut point y chercher le plaisir ni le spectacle : c’est une affaire, rien de plus, rien de moins. Il n’y a là ni Grand-Stand couvert de têtes, ni tentes, ni baraques, ni théâtres en plein vent, ni gypsies, ni bateleurs. Les membres du Jockey-Club, auquel appartient le terrain des coursés, ne les souffriraient pas, car le bruit d’une foire ou d’une fête détournerait l’attention du but de la journée, qui est tout sérieux : il s’agit d’essayer des chevaux et de parier. On peut même dire qu’il n’y a point de foule, car la plupart des assistans sont à cheval ou en voiture, et ils se trouvent comme perdus dans l’immensité de la plaine verte. Le seul centre de réunion est le betting-ring, cercle d’asphalte, défendu par un palissade de bois, où l’on paie 10 shillings pour entrer, et où se tiennent les betting-men avec la carte du jour (racing card), un crayon et un carnet à la main. Dans cette sorte de bourse en plein vent, l’agitation furieuse contraste avec le caractère paisible du reste de la scène. Autour du cercle des joueurs s’arrondit et se serre une ligne épaisse de voitures

  1. Les Anglais se demandent ce qu’on entend sur la terrain de nos courses par chevaux français ; ces derniers sont tous d’origine britannique ; ils ont été pour la plupart élevés en Angleterre et selon la méthode anglaise. On peut en dire autant des jockeys.