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se courbe et se ride sous le souffle de la brise. Le Devil’s dyke a fort intrigué les antiquaires. Les uns veulent que ce soit un ouvrage des Romains ; d’autres le font remonter aux Bretons, avant le temps de César, tandis que d’autres encore l’attribuent à Uffa, le premier roi des Angles de l’est. Tout porte du moins à croire qu’il fut creusé pour marquer les limites d’une province militaire. L’obscurité qui enveloppe ce monument de l’industrie et de la persévérance humaines lui a sans doute valu son nom, car nos ancêtres rapportaient volontiers au diable les ouvrages dont ils ne pouvaient pénétrer l’origine.

Le lendemain, je consacrai mon temps à visiter les écuries qui font la gloire et la richesse de Newmarket. La ville venait d’éprouver une grande perte. Quelques mois auparavant était mort le duc de Bedford, qui, selon le langage des Anglais, était sportsman dans le cœur, et qui entretenait à Newmarket un des plus magnifiques établissemens de chevaux. Son fils, disent avec un soupir les amateurs de courses, n’hérite nullement des goûts du père pour le turf. En conséquence la riche collection d’animaux rares, — étalons, jumens, poulains, jeunes chevaux en voie d’instruction (horses in training), — formés avec tant de soin et de peine durant la moitié d’une vie d’homme, venait de se disperser sous le marteau du commissaire-priseur. La vente avait produit 7,736 livres sterling, et encore les connaisseurs affirment-ils que cette somme ne représente point le tiers des déboursés du feu duc. Dieu merci, Newmarket conserve un autre patron : je parle de lord Stamford, qui reste ferme comme une ancre sur le turf et protège ainsi la vieille métropole des chevaux. Là est pour ainsi dire son royaume. Dernièrement c’était le birth day (jour de naissance) de lady Stamford ; toute la ville était en fête : de joyeuses volées de cloches proclamaient incessamment l’heureux anniversaire, et un peuple de jockeys s’asseyait à un splendide repas que leur fait servir tous les ans cette main libérale. Les écuries (stables) jouissent d’une réputation européenne : on y est difficilement admis ; mais lord Stamford lui-même ayant bien voulu annoncer ma visite à son trainer (dresseur de chevaux), M. David Dawson, je pénétrai sans résistance dans ce sanctuaire du sport. Le trainer d’un grand seigneur anglais est lui-même un homme d’importance qui a tout un train de domestiques, une maison charmante, un salon orné avec la plus somptueuse élégance, et dont une femme en grande toilette fait délicatement les honneurs. Je fus d’abord conduit dans une cour enfermée par des bâtimens de brique avec deux ailes qui se relient à un édifice central surmonté d’un cadran d’horloge. Au milieu de la cour trônait, dans une loge monumentale, un énorme chien de Terre-Neuve.