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tout d’abord au fier animal qu’il a trouvé un maître. On commence par le travail doux (slow ivork), après lequel vient le travail dur (strong work). Après avoir arpenté la plaine au petit galop, un beau matin, à l’heure où l’alouette secoue de ses ailes les fraîches gouttes de rosée, le jeune cheval sort pour prendre sa première sueur (fîrst sweat). La longueur de ces sueurs ou courses forcées augmente avec les facultés de l’animal qui se développent. Dans la plupart de ces manœuvres, il a pour moniteur un autre cheval, car le horse training est fondé jusqu’à un certain point sur le système des écoles mutuelles. Pendant ce temps-là, la qualité et la quantité de la nourriture se trouvent, ainsi que la boisson, strictement mesurées d’après l’ordre des travaux. Si le cou ou les épaules du cheval sont trop chargés de chair, on couvre ces parties de chaudes couvertures pour les alléger par la transpiration. Grâce aux exercices et à ces soins assidus, l’animal acquiert peu à peu des muscles fermes comme de l’acier et une peau luisante, douce au toucher comme une main de femme. L’éducation du trainer a quelquefois métamorphosé certains chevaux à tel point que le propriétaire lui-même ne les reconnaissait plus. Ce n’est point seulement la forme extérieure qu’on cultive, c’est aussi l’énergie morale. La classe des thorough bred, me disait un trainer, se distingue surtout des autres chevaux par l’émulation et par une sorte de sentiment chevaleresque ; sa principale force est dans la tête. Quand l’élève est assez avancé, il reçoit pour ainsi dire la dernière touche de l’artiste, et alors arrive sa première épreuve, first trial, qui a lieu devant un petit nombre de connaisseurs. Jusqu’ici, son éducation s’est faite en quelque sorte à la sourdine, car le plus grand mystère règne dans les écuries des trainers et s’étend sur toutes les manœuvres. Le moment est venu maintenant de le pousser dans le monde.

La plupart des jeunes chevaux qu’on destine au Derby figurent d’abord à Newmarket dans une course connue sous le nom des « deux mille guinées, » two thousand, et qui est comme la préface d’Epsom. Quelques sportsmen ont néanmoins pour méthode de ne point éventer leurs chevaux, et gardent sous le plus grand secret, pour l’événement majeur de l’année, un candidat redoutable, qui prend alors, dans le langage du turf, le nom de « cheval ténébreux, » dark horse. Un des plus prodigieux « chevaux volans (flyers) » dont s’honore la Grande-Bretagne était Éclipse, — ainsi appelé parce qu’il était venu au monde durant la grande éclipse de 1764. Il avait cinq ans quand il fut inscrit pour la première fois sur le programme d’une course. Cette dernière circonstance excita les soupçons et la curiosité. Lorsqu’il parut à Epsom le 3 mai 1769, il balaya tout devant lui. Il avait été élevé par le duc de Cumberland, et à la mort