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plus continuer leur industrie, s’ils ne se montraient irréprochables dans le cercle, d’ailleurs assez large, des transactions qu’autorise la loi du turf. À côté du book maker, dont les habitudes vulgaires sautent aux yeux, je dois placer comme contraste un faiseur de livre d’une tout autre école. Celui-ci mérite jusqu’à un certain point l’épithète de respectable, qui dans la bouche d’un Anglais a une signification bien profonde. J’ai vécu à Londres dans une maison dont un des appartemens était occupé par un gentleman d’une cinquantaine d’années, père d’une nombreuse famille. Cet homme était mystérieux, rangé, méthodique. Il faisait souvent des absences de quelques jours ; sa femme et ses enfans disaient alors qu’il voyageait. Ce dernier terme donnait à entendre qu’il était commis-voyageur pour une maison de commerce, — profession très commune en Angleterre. Ses bills (notes de fournisseurs) étaient toujours acquittés avec la plus sévère exactitude, — circonstance qui, dans les idées des Anglais, ajoute beaucoup au caractère de respectabilité. J’appris plus tard que ce locataire modèle, qui recevait peu de monde et faisait peu de bruit, n’avait d’autre revenu ni d’autre industrie que de parier sur les courses, auxquelles il prenait, comme on dit, un grand intérêt. A. quelque rang qu’ils appartiennent, les faiseurs de livres se distinguent d’ailleurs par une qualité générale : ce sont ce que les Anglais appellent des calculateurs acérés. Leur maxime favorite est qu’on devient commerçant, mais qu’on naît betting man.

Toute la science des paris reposant sur l’art de prévoir, les courses de chevaux ont en outre donné lieu à une autre classe d’hommes qu’on appelle tipsters. Faire un tip, c’est désigner d’avance le cheval qui devra remporter le prix. L’industrie de ces prophètes du turf consiste donc à diriger les spéculations des bettors par des notes ou des renseignemens plus ou moins secrets sur la valeur relative des coursiers engagés dans la lutte. Quelques-uns proposent leurs services par la voie des journaux, au moyen d’une annonce conçue à peu près dans ces termes : « Calchas, cédant au désir de plusieurs membres du Jockey-Club et d’un très grand nombre de notabilités du turf, a l’honneur de prévenir le public qu’il peut prédire à coup sûr le vainqueur dans dix courses sur douze. Songez à cela, et ne perdez point l’occasion de faire une fortune ! Ses invaluables tips pour le Derby, l’Ascot cup et le Saint-Léger sont maintenant prêts et défient toute incertitude. Prix : 2 guinées par an ; pour chaque événement, 1 shilling, que l’on peut adresser en timbres-poste à son domicile, rue, etc. » D’autres, qui ont fondé leur clientèle, n’ont pas besoin de recourir à ces moyens toujours douteux de publicité. Ils ont leurs patrons dans l’aristocratie ou dans la classe moyenne, qu’ils visitent régulièrement et auxquels ils communiquent pour un