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d’une tradition remontant à Colbert, et que pour cette raison la restauration aurait voulu respecter : on empêchait la sortie des laines au profit des manufactures de draps. L’intérêt agricole, se sentant la consistance d’un parti politique, commença à réagir énergiquement contre cette combinaison. Il réclamait non-seulement le droit de vendre ses laines à l’extérieur, mais encore des entraves à l’introduction des laines étrangères, meilleures que les siennes. Là-dessus, grand débat entre les éleveurs de moutons et les fabricans de tissus. Imaginez les angoisses et les périls des ministères entre ces anciens seigneurs du sol, que la monarchie considère comme ses alliés naturels, et les nouveaux seigneurs de l’industrie, invoquant Colbert et Napoléon, montrant derrière eux leur clientèle d’électeurs à 300 francs ! Après six ans de luttes, de compromis, de remaniemens des tarifs, les producteurs réconciliés signèrent la paix sur le dos des consommateurs. On restreignit l’entrée des laines par un droit de 30 pour 100 sur la valeur ; en même temps on accorda aux fabricans de tissus des primes d’exportation proportionnelles à la plus-value factice des laines indigènes. Les primes, devant être acquittées sans justification préalable des droits perçus à l’entrée, étaient, non pas le drawback ordinaire, mais de véritables subventions. Ainsi l’industriel gagnait doublement, puisqu’il pouvait vendre sa marchandise cher à l’intérieur au moyen de la prohibition et bon marché à l’étranger au moyen de la prime payée par les contribuables français.

Je glisse sur plusieurs tarifs protecteurs obtenus par l’industrie agricole pour les fromages, le houblon, le chanvre et le lin. Ce que protection voulait dire, M. de Bourrienne l’a expliqué assez naïvement, parlant comme rapporteur d’une des lois que je viens de résumer : « Le législateur, en frappant d’un droit à l’importation certains objets, a pour but qu’il n’en entre point ou le moins possible. » On peut encore attribuer à l’influence du parti agricole, c’est-à-dire aux propriétaires de forêts, le remaniement de la législation concernant la métallurgie. La phalange des ducs, marquis ou comtes qui, dès 1814, avaient entouré le trône à peine relevé pour demander l’exclusion des fers étrangers s’était sans doute fortifiée vers 1822. À cette époque, la fabrication française était stationnaire depuis un quart de siècle : tout se faisait au bois et au marteau. Les gros fers de première qualité se cotaient 600 francs la tonne. En Angleterre, la fonte et l’affinage se faisaient à la houille, l’étirage au laminoir : les fers étaient cotés 230 francs au plus. Quand une industrie se montre inférieure à ce point, est-ce en l’isolant par la protection qu’on peut la relever ? Le problème est d’une solution moins difficile qu’il ne paraît au premier abord. Ou le pays a des