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messageries, une forge, un pont et deux canaux. Moins de 25 millions en capital leur suffisait. Les affaires se traitaient alors, suivant le vieux type de la commandite, au moyen des avances faites personnellement par les bailleurs de fonds.

Sous la restauration, le négoce et l’industrie se firent sur une échelle infiniment plus vaste que sous l’empire, mais à peu près de même façon, c’est-à-dire au moyen de la commandite directe et personnelle des capitalistes : la multitude faisait fructifier elle-même ses économies dans la petite culture ou le petit commerce. Les seules entreprises pouvant donner lieu à de grandes associations de capitaux étaient les assurances, qui se multiplièrent rapidement, la confection des ponts et des canaux, les premiers tronçons de voies ferrées destinés aux exploitations des houillères. Le conseil d’état accorda en quinze ans cinquante et une autorisations pour des entreprises de ce genre, et il put le faire sans trop engager sa responsabilité ; car il s’agissait d’opérations simples, dont il est facile d’apprécier l’opportunité et les ressources. Avec la monarchie de juillet, l’industrie devint le fait essentiel et s’épanouit dans toutes les directions : on put remarquer dès cette époque la tendance qu’elle avait à se démocratiser par le groupement des petits capitaux. Les essais pour fonder des sociétés commerciales, applicables aux spéculations les plus diverses, se multiplièrent à l’infini, et il est probable qu’il y eut des demandes très nombreuses pour obtenir l’anonymat. Ce fut alors qu’apparut le côté faible de notre législation. En se réservant d’autoriser les sociétés anonymes, d’en étudier les moyens d’action et d’en surveiller les agens, le gouvernement prend à l’égard du public la responsabilité morale de ces entreprises. Or, s’il est difficile même aux gens qui ont vieilli dans l’industrie d’apprécier sur le papier la portée d’une opération, d’estimer le capital nécessaire, d’organiser le service, de prévoir les mécomptes, quel sera l’embarras d’un chef de bureau ou d’un conseiller d’état appelé à résoudre, sous sa responsabilité personnelle, des problèmes de ce genre ! Et puis l’autorisation de former une société anonyme, devant être refusée au plus grand nombre, devient une faveur pour ceux qui l’obtiennent, et les gouvernemens, quels qu’ils soient, n’ont pas coutume d’accorder des faveurs à ceux qu’ils considèrent comme leurs adversaires. À moins d’une impartialité surhumaine, tout administrateur est influencé à son insu par ses sympathies et ses répugnances politiques ; il est permis de croire que tel spéculateur dont la demande aurait été accueillie par le conseil d’état de 1848 aurait eu beaucoup moins de chance devant le conseil d’état de 1847. Dans la pratique, l’état ne peut conférer le prestige de son autorisation qu’à un très petit nombre d’entreprises