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des idées analogues, et, par un phénomène incompréhensible, la situation étant faite par l’impression, celle-ci fait apparaître les personnes, groupe les événemens qui donnent à cette situation les apparences de la réalité et du naturel. Toutes les images des rêves semblent présentes dans les sens, et donnent autant de garantie d’existence que pendant la veille, plus peut-être, car le jugement et l’habitude redressent souvent les impressions des sens, ce qui n’arrive guère pendant le sommeil, où toute impression, toute aventure est acceptée sans examen. La faculté qui s’anéantit le plus facilement chez l’homme, pour un temps ou pour toujours, c’est la raison.

Un fait particulier et souvent constaté, c’est que le sommeil ne se termine jamais brusquement, et le moment précis du réveil est toujours difficile, sinon impossible à fixer. Durant un temps variable, nous vivons dans un état particulier qui se reproduit le soir, quand le sommeil arrive. Les objets extérieurs et réels commencent à apparaître, tandis que nous ne sommes pas débarrassés des illusions, et nous pouvons rarement dire avec certitude : « À ce moment, je dormais ; à tel autre, j’étais éveillé. » Très souvent le mélange est complet, et le vrai et le faux ne se distinguent plus, même lorsque la raison, la force et la vie sont revenues entièrement. Nous voyons réellement la chambre et les meubles, mais nous y plaçons des êtres qui n’y sont point. Quelles illusions cela produit, tout le monde le sait. Souvent aussi le même rêve se reproduit plusieurs jours de suite, et l’impression, le souvenir sont plus forts que pour un événement que nous n’aurions traversé qu’une seule fois. Enfin, sans parler du somnambulisme, où tous les phénomènes du sommeil sont multipliés, la relation entre les deux états est si étroite qu’un homme endormi peut entendre et comprendre les paroles prononcées à côté de lui, pourvu qu’elles s’accordent avec ses propres pensées. On peut à la fois suivre les rêves d’un autre et les diriger. L’insensibilité persiste pour tous les sons qui n’ont aucun rapport avec le sujet de la conversation, tandis que tout le reste est parfaitement perçu. M. Carpenter a cité l’exemple très frappant d’un officier qui jouait ses rêves avec ses camarades. On en commandait le sujet et on en conduisait les péripéties. S’il avait perdu, on lui donnait un cauchemar, sinon des apparitions séduisantes. On le faisait parler, nager, combattre et fuir. Une fois même, après l’avoir conduit à travers toute une scène qui finissait par un duel, un autre officier mit un pistolet dans sa main, le dormeur pressa la détente, le coup partit, et le bruit le réveilla. Même ceux qui n’ont pas ce don particulier savent bien que la plupart des rêves sont amenés et dirigés par les pensées, les préoccupations ou les passions qui les agitaient durant les derniers momens de la veille.