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Quel homme et surtout quel Grec, l’imagination remplie des fables de la mythologie, vivant au milieu de gens qui croyaient aux apparitions et aux prodiges, dont les pères avaient vu, touché, aimé des déesses et des dieux, quel mortel, dis-je, introduit dans un de ces temples magnifiques, troublé par la crainte ou l’espoir, jamais par l’incrédulité, puis endormi naturellement ou par des breuvages et des odeurs narcotiques, n’aurait pas vu, suivant les cas, des apparitions terribles ou des images gracieuses, et subi toutes les impressions qu’il plaisait aux initiés de lui imposer ? On peut lire dans les ouvrages spéciaux les récits des hallucinations et des illusions des mangeurs de haschich, qui souvent sont des médecins très peu poètes, et l’on y trouvera mille visions tout aussi complexes et merveilleuses que les plus célèbres prodiges, que le récit, très connu par exemple, de l’homme qui a pénétré dans l’antre de Trophonius. La ressemblance est parfaite. C’est Plutarque qui raconte cette histoire, et Timarque, dont il parle, a passé deux nuits et un jour dans ce lieu terrible. La description de ce qu’il y a vu n’est point celle d’un spectacle réel ; mais il raconte les songes d’un homme enivré et halluciné. Le violent mal de tête qu’il ressentait dès le commencement et qui le reprit lorsque les apparitions s’évanouirent, c’est-à-dire au réveil, est un symptôme certain. Sa mort, qui arriva trois mois après, est une preuve de la puissance du narcotique. Presque tous ceux qui se livraient souvent à ces consultations étaient atteints de maladies nerveuses qui se terminaient par la mort ou la folie. Ceux même qui n’entraient qu’une seule fois dans ces lieux redoutables se remettaient difficilement, non de leurs impressions, mais des drogues sacrées qui les avaient rendus dignes du temple et du dieu.

Quant aux substances qu’employaient les anciens, quelques-unes sont inconnues, d’autres sont employées en médecine. On croit avoir perdu de même quelques-uns des poisons du moyen âge. Les médecins modernes reconnaissent les illusions produites par la belladone, celles du datura stramonium, qui d’ordinaire fait rêver d’animaux incommodes ou nuisibles, de scènes de violence, celles du haschich, qui donne des sensations plus agréables. On sait que Davy, découvrant un gaz nouveau, le bioxyde d’azote ou gaz hilarant, vit tout d’un coup ses idées prendre une forme visible et passer rapidement devant lui de manière à produire des perceptions entièrement nouvelles qui le faisaient malgré lui rire aux éclats. En Égypte, on se sert encore de la racine d’une espèce particulière de datura pour procurer d’agréables illusions, et M. Virey a reconnu que le népenthès d’Homère n’était pas autre chose. Enfin le nombre est grand de ces substances qui peuvent endormir et enivrer, et c’est aussi à des breuvages et à des onctions qu’il faut attribuer ces transformations d’hommes en animaux qui ont tour à tour amusé ou effrayé