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et s’accommodaient parfois de cette maxime. Joas exprime une idée surtout chrétienne lorsqu’il répond :

…… Il faut craindre le mien,
Lui seul est Dieu, madame, et le vôtre n’est rien !

Encore cette opinion exclusive n’était-elle pas dominante chez les premiers chrétiens, qui prenaient les dieux des Romains et des Grecs pour des êtres supérieurs, capables du bien et surtout du mal, et pouvant donner à leurs sectateurs la faculté de faire des prodiges pour répondre aux miracles. Ils interdisaient les conjurations, les apparitions et les oracles, sans les dédaigner ni en dévoiler l’imposture, et les empereurs tour à tour persécutaient les chrétiens ou livraient à la flamme des bûchers les devins et les astrologues.

On a depuis longtemps remarqué que beaucoup d’usages, plusieurs fêtes même, ont traversé intacts l’antiquité et le moyen âge. Les mêmes biens, les mêmes grâces sont aujourd’hui comme autrefois demandés au ciel. La religion catholique ne dédaigne pas les pratiques et se prête volontiers aux opinions et aux tendances des peuples qu’elle dirige. Sans les encourager toujours, elle les tolère. Souvent la dénomination seule est changée, ou la date : les étrennes, le carnaval, la bûche de Noël, les Rogations, les feux de Saint-Jean, ont pour origine des fêtes du paganisme. Toutes les fois que des coutumes, même des rites, n’étaient pas exclusivement païens, ils n’ont pas péri, et plusieurs saints ont pris la place des dieux antiques. M. Maury en a cité des exemples singuliers. Toutefois cette association a des bornes, et un grand nombre de croyances ont été reléguées dans la magie, dont la prospérité ne fut pas atteinte pour cela. Elle brilla même d’un éclat nouveau à l’apparition d’un personnage inconnu aux anciens, qui dans le moyen âge a fait autant de martyrs que les plus nobles croyances, tour à tour terrible et séduisant, et dont le règne n’est pas fini, bien que, s’étant montré l’an dernier dans une réunion de spiritistes qui l’interrogeaient sur sa nature et ses intentions, il ait fait cette réponse rassurante : « Je n’existe pas. »

Aux anciens dieux, nul mortel ne pouvait offrir un présent qui valût en réalité ce qu’il demandait. On entrevoyait que les offrandes et les sacrifices étaient reçus comme un hommage et non comme un échange. On ne pouvait satisfaire ni un besoin, ni une fantaisie divine. Tout autrement a-t-on pensé du diable, qui, aux yeux de quelques-uns, prend un plaisir direct au mal et se trouve véritablement intéressé à nous damner. Pluton, tout terrible qu’il fût, recevait les justes comme les méchans. Les intelligences grossières qui aimaient à placer un personnage sous un dogme, une réalité