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bonne foi, soit par artifice, les sorciers employaient les procédés des anciens, le sommeil et les narcotiques. Gassendi a frotté deux paysans avec une pommade opiacée, après leur avoir persuadé que c’était le moyen d’aller au sabbat. Ils dormirent, et au réveil firent un récit détaillé de leur voyage et de leurs plaisirs, car l’ivresse de l’opium n’est pas toujours chaste.

Nulle raison sans doute n’excite le diable à tenter plus les femmes que les hommes. Les sorciers pourtant sont moins nombreux que les sorcières. À quoi cela tient-il, sinon au système nerveux très développé chez les femmes, dont les maladies sont très souvent compliquées de maux de nerfs ? Elles ont moins de force contre les hallucinations, et agissent davantage les unes sur les autres, de sorte que leurs rêves ou leurs illusions sont plus facilement épidémiques. Aujourd’hui encore ce sont elles qui pratiquent d’ordinaire le somnambulisme, et qui récemment, mieux que les hommes, faisaient tourner les tables. Surtout au moyen âge, elles étaient moins occupées et moins instruites, et dans les couvens de femmes on trouve beaucoup d’exemples de possession. La vie monastique y préparait par sa rigueur, par sa pureté même, et une nonne malade réagissait sur toutes ses sœurs. Les exemples de cette contagion sont nombreux, et l’on cite même des rêves simples qui n’ont pas été isolés. M. le docteur Parent a rapporté le cas d’un bataillon dont tous les hommes étaient assaillis toutes les nuits, à la même heure, d’un cauchemar terrible, et quelques officiers qui veillaient réussirent très difficilement à leur persuader qu’ils n’avaient point vu réellement le diable, un gros chien noir, etc. On sait que, dans les maisons d’aliénés, les malades pour la plupart ne peuvent sans danger communiquer ensemble. Dans ces épidémies, la maladie prend des formes variées. Pour une même cause, toutes les religieuses d’un couvent pouvaient être très diversement affectées. Suivant que l’espoir ou la peur dominait, elles rêvaient du diable ou de Dieu, se croyaient sauvées ou dignes du plus grand supplice. Des figures plus humaines hantaient leurs imaginations. Tout le monde connaît le procès d’Urbain Grandier et les scènes étranges et terribles dont les Cévennes ont été le théâtre. Or plus on étudie les détails de ces événemens, plus le merveilleux disparaît. Les prophètes protestans des Cévennes par exemple n’ont jamais rien prédit, sinon la victoire à des soldats vaincus et disperses en peu de temps. C’étaient de jeunes enfans que les chefs cévenols emmenaient au combat, et qui servaient, non à diriger la marche, mais à ranimer par des sermons et un air inspiré l’ardeur et le courage. On en a compté plus de huit mille dont l’éloquence et l’influence ne sauraient être contestées. En lisant leur histoire, on est effrayé de cette contagion, de cette force merveilleuse tout à coup développée chez des êtres